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les seiches, les calmars, les poulpes, tous les céphalopodes dont il fait sa principale nourriture, et qu’on pourrait appeler par excellence les voyans de la mer, avec leurs yeux plus grands en proportion que chez aucun genre d’animaux et leur regard toujours en éveil. Aussi on a fait les plus singulières suppositions. On a prétendu que le cachalot laissait tomber sa mâchoire grande ouverte, comme font les baleines quand elles engouffrent des nuages de petits crustacés ; on a supposé que les dents du monstre miroitant à la lumière attiraient les animaux dont il se nourrit. Mais le cachalot, comme le marsouin, le dauphin, n’a que des mouvemens très limités de la mâchoire et ne l’ouvre que très peu. Cependant il n’est pas impossible, bien que cela semble assez invraisemblable, que la blancheur d’argent du fond de sa gueule, près de laquelle celle des dents n’est rien, sollicite les céphalopodes grands ou petits qui sont sa pâture habituelle. Parfois on a vu des cachalots frappés à mort rendre, dans les dernières convulsions, des morceaux de bras de poulpes, qu’ils venaient d’avaler, gros comme la cuisse d’un homme. On ne peut guère douter que les abîmes de l’océan ne soient peuplés de grands céphalopodes que nous ne voyons jamais ou presque jamais à la surface. Il n’est pas rare, au contraire, de rencontrer sur l’océan de volumineux fragmens de chairs flasques, avec une peau molle et rouge par places, débris de ces grands poulpes qu’on dirait tranchés par une mâchoire puissante. Ce sont les reliefs de quelque repas de cachalot. Ces habitudes de nourriture expliquent que dans son estomac on puisse recueillir des litres de becs crochus de céphalopodes que les sucs digestifs ne parviennent pas à dissoudre, et de cristallins de ces mêmes animaux qui résistent aussi un certain temps à l’action corrosive.

Notons comme dernière particularité anatomique le volume du cerveau. C’est le plus gros que l’on connaisse. Le cachalot est, sous ce rapport, mieux partagé qu’aucune autre créature ayant vie. Son cerveau dépasse même celui de la baleine bleue, dont le corps est au moins deux fois plus grand. Et, cependant, ce cerveau est bien peu de chose, car il n’est pas lourd comme cinq cerveaux d’hommes. Quant à la moelle épinière qui en part, elle est large à peine comme celle d’un bœuf. Comment expliquer que l’énergie motrice nécessaire pour mettre en jeu, chez le cachalot, plusieurs tonnes pesant de muscles, n’exige pas des conducteurs nerveux plus gros ou plus nombreux que ceux d’un bœuf ? C’est là encore un problème dont la physiologie ne nous a pas donné la clé. La raison en est-elle que cette masse musculaire considérable, comme chez les poissons d’ailleurs, ne réalise, pour faire progresser l’animal, qu’un petit nombre de mouvemens, très simples si on les compare à la com-