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Marc Pol nous dit expressément que l’ambre gris se trouve dans le « cap d’oille, » c’est-à-dire le cachalot, le capo d’oglio ou tête d’huile des Italiens. Les Chinois et les Japonais savaient déjà que ce parfum doux et subtil à la fois n’était rien autre qu’une concrétion du dernier intestin du cachalot formée là peut-être par maladie, peut-être simplement d’excrément durci. L’ambre, en effet, au contraire du musc, de la civette, du castoréum, n’est pas la sécrétion d’un organe spécial. On admet, on suppose, — car nous n’avons sur ce point aucune donnée précise, — que le cachalot emprunte les élémens de ce parfum si recherché à certains poulpes abondans dans les mers des Indes et de l’extrême Orient, qui ont par eux-mêmes une odeur forte qu’on a comparée à celle du musc. Pour avoir de l’ambre, il faudrait donc que le cachalot ait fait sa nourriture de ces poulpes. Mais cela ne suffit probablement pas, et quelque lésion organique de l’intestin doit intervenir. Cette double condition expliquerait que tous les cachalots ne donnent point d’ambre, bien que les baleiniers n’oublient jamais d’y regarder. Assez généralement, les cachalots de l’Atlantique n’en ont pas ; cependant, on trouve de l’ambre sur les côtes du Brésil, et nous savons qu’au siècle dernier, on en a plus d’une fois ramassé de gros fragmens sur les rivages du golfe de Gascogne. Certains morceaux d’ambre sont demeurés célèbres par leurs dimensions et leur prix, comme celui que la compagnie hollandaise acheta au roi de Tydor 11,000 écus et qui pesait 182 livres. En 1755, la compagnie des Indes vendit à Lorient une masse d’ambre gris du poids de 225 livres ; elle fut payée 52,000 livres. Il y a deux ans à peine, les navires baleiniers Franklin et Antartic avaient pêché ensemble un cachalot non loin de la côte américaine, dans le sud-est de Norfolk. Ils y trouvèrent un morceau d’ambre pesant 107 livres, qu’ils vendirent 44,000 dollars. Mais il est rare que de pareilles fortunes se rencontrent.

Pendant longtemps, on n’a pas bien fait la distinction du spermaceti et de l’ambre, que les vieilles pharmacopées font entrer à tort et à travers dans une foule de remèdes, tous héroïques, cela va sans dire. Rabelais confond encore les deux drogues. Au reste, si l’on sait depuis longtemps que le blanc de baleine se trouve dans la tête du cachalot, sa véritable nature n’était pas sans embarrasser fort les anatomistes. D’autres cétacés, tels que les globiceps, ces prototypes du dauphin héraldique, ont aussi un développement exagéré de la tête, bombée en façon de heaume au-dessus du museau. Mais chez eux cette masse est faite de lard semblable à celui qui couvre le reste du corps, et simplement plus épais à cette place. Chez le cachalot, il n’en est plus ainsi. Au-dessus des os du crâne relevés par les bords en forme de « char de Neptune, »