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Vers 1769, la chambre de commerce de Boston se plaignit aux lords de la trésorerie que les packets allant de Falmouth à New York mettaient régulièrement quinze jours de plus que les navires marchands venant de Londres à Rhode-Island, quoique la route fût plus longue et qu’ils fussent plus chargés. Franklin, qui était à cette époque en Angleterre, occupé d’organiser la poste avec l’Amérique, fut consulté, Il parla à son tour de l’affaire à un capitaine baleinier de Nantucket, de ses amis, qui était aussi à Londres. Celui-ci lui apprit alors que ses compatriotes, pour revenir d’Europe, où ils allaient vendre l’huile, avaient soin de prendre toujours leur route plus au nord, afin d’éviter le courant du golfe qui remontait jusque là en portant à l’est. Ce courant, tous les baleiniers de Nantucket le connaissaient, parce qu’il limite en quelque sorte l’espace où on rencontre les cachalots, mais les capitaines des packets anglais en ignoraient l’existence. De là le retard de leurs navires. C’est à la suite de ces entretiens que Franklin dressa la carte célèbre où, pour la première fois, est figuré le courant du golfe comme un fleuve coulant à travers l’Atlantique, jusque sur les côtes du vieux monde.


VI.

La France malgré de louables efforts, en particulier par la chambre de commerce de Dunkerque, était restée bien en arrière du mouvement dont la pêche du cachalot avait été le signal en Angleterre et en Amérique. Un jour pourtant on put croire qu’elle allait prendre aussi une place importante dans cette grande industrie, et c’est encore à Nantucket que va revenir l’honneur de l’initier.

Par une matinée de printemps de 1785, le personnel des gardes, des huissiers, des officiers de toute sorte du palais de Versailles ne voyait pas sans étonnement deux étrangers devant lesquels toutes les portes, même celles des ministres, semblaient s’ouvrir d’elles-mêmes et sans faire antichambre. Ces deux hommes avaient pourtant assez petite façon, vêtus simplement d’étoffes sombres, avec ce détail particulier que leurs habits ne portaient pas de boutons. Mais ce qui étonnait surtout, c’était de les voir garder obstinément le chapeau sur la tête, comme le roi, et s’adresser à tous avec une liberté qui, pour polie qu’elle fût était peu de mode à la cour. A peine arrivés, ils avaient vu le contrôleur des finances, M. de Calonne, puis ils avaient été conduits au ministre des affaires étrangères, le vieux Vergenne. Ils avaient été après cela reçus par le maréchal de camp ministre de la marine, par le prince de Rubec, généralissime des Flandres. Partout ils étaient accueillis avec em-