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pondit : « Je me soucie peu de vos chapeaux, si vos cœurs sont droits. » Après cinq visites aux divers ministres, tout était arrangé, conclu, et les deux quakers s’en retournèrent à Paris, ne devant plus revenir à Versailles que pour prendre congé, selon l’étiquette de la cour.

Un des ministres leur avait demandé s’ils ne voulaient pas visiter le palais. Ils s’étaient excusés en disant craindre que la curiosité qu’ils pouvaient avoir ne les mît en situation de marquer quelque impolitesse à cause de leurs habitudes. A Paris, ils reçurent un billet du ministre leur annonçant qu’il avait parlé au roi, et que celui-ci « donnait toute liberté à ses amis de Nantucket de visiter le palais, tant les grands appartemens publics que les appartemens privés, quand il n’y serait pas, ce qui arrivait presque tous les jours. » Nos deux quakers crurent qu’on avait évité de les désigner sous ce nom parce qu’on le réputait offensant. La visite des appartemens privés était en tout cas une grande faveur et qu’on accordait seulement aux personnes de marque. Malheureusement, il arriva que le jour où les voyageurs étaient retournés à Versailles prendre congé, le roi ne sortit point, ce qui fut pour eux une véritable déception. Ils purent seulement voir les grands appartemens et la chapelle. Et ici un détail charmant qui sent bien son XVIIIe siècle : comme ils hésitaient à entrer dans l’église, l’officier qui les guidait les invita à faire à leur mode, c’est-à-dire à garder leurs chapeaux.

M. Roth, avant de retourner en Amérique, passa par l’Angleterre, où on lui offrit plus qu’il n’avait d’abord demandé. Pitt, dès son arrivée, lui avait dépêché un de ses secrétaires. Le quaker, pour toute réponse, fit valoir l’accueil à la fois courtois et empressé qu’il avait reçu en France, la rapidité qu’on avait mise à traiter son affaire. Le chancelier de l’échiquier insista, mais la parole donnée prévalut, et, dès l’année suivante, les Nantuckois s’établissaient à Dunkerque, et leurs baleiniers couraient les mers sous pavillon français. En 1790, nous avions de la sorte quarante navires employés à la pêche du cachalot. Dans la seule année 1792, vingt-cinq avaient fait voile pour les mers du Sud. La guerre avec l’Angleterre arrêta cet essor, et, après des pertes importantes, M. Roth, avec toute la colonie nantuckoise, retourna en Amérique.


VII.

La France actuellement n’a plus un seul navire qui pêche le cachalot, pas plus d’ailleurs que la baleine. Voilà quarante ans que le dernier baleinier du port du Havre a désarmé. Le musée de la ville