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nières, arrivent, poussant des barils vides, portant du bois pour allumer le fourneau qu’on alimentera ensuite avec les lardons retirés des chaudières. Les baleiniers de profession apportent leur « spade, » un louchet tranchant comme un rasoir et large comme la main, au bout d’un manche de 2 mètres. Ils s’en servent admirablement, font tout avec lui : ils couperont la tête du cachalot, ou débiteront une pièce de lard en menus morceaux gros comme le bras. Tout cela, d’ailleurs, est exécuté selon les règles invariables d’un canon séculaire. Dès le premier moment, un remouleur s’est aussi installé avec deux aides, sa meule et une collection de pierres à affiler. Il n’a pas trop de tout son temps et de ses deux acolytes pour rendre le tranchant aux spades que chaque baleinier lui apporte à son tour. L’officier donne les ordres, dirige la besogne, qui se fait vite et bien, parce que chacun y a son intérêt. Il faut entendre les juremens et les malédictions, si un coup maladroit a laissé couler d’huile plein le creux de la main. On accuse le malheureux qui a fait le coup d’en perdre des barils ! Sur ce chantier coopératif, la science, on le comprend, n’est pas vue par tout le monde d’un bon œil, et l’anatomiste n’a guère autre chose à faire que se tenir coi, à prendre des notes ou des croquis. Même alors qu’un membre de la compagnie mettrait à seconder ses observations toute la complaisance imaginable, il sent bien vite que mieux vaut encore n’en pas abuser devant tout ce personnel, où chacun étant intéressé pourrait à un moment donné se croire en droit d’élever la voix.

Cependant le travail avance. On a mêlé le blanc recueilli dans la tête au reste de l’huile. Celle-ci sera expédiée par la première occasion au négociant, qui jaugera exactement la quantité recueillie, et, c’est seulement alors que chacun connaîtra son gain. Officiers, harponneurs et gens d’équipe reçoivent tous un tant pour cent par baril. Le baril du baleinier est une mesure conventionnelle qui n’existe nulle part. C’est quelque chose comme l’ancien mark de Hambourg, cette monnaie fictive à laquelle on rapportait toutes les autres dans la ville hanséatique. Le baril vaut tant de gallons anglais ou tant de gallons américains, voilà tout. Mais les baleiniers ne comptent pas autrement ; et on dit même : un cachalot de tant de barils, pour exprimer sa grosseur, par la quantité d’huile qu’il a donnée.

Les compagnies sont aujourd’hui nombreuses aux Açores. Elles sont toutes prospères, à la condition d’être bien administrées. On en cite qui, s’étant organisées, avaient fait venir leur matériel d’Amérique, et même, avant l’échéance des traites pour le payer, avaient couvert ces frais de premier établissement et réalisé