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sur les autres un droit de propriété limité. Au point de vue de l’impôt, elles sont divisées en deux classes : celles qui paient l’impôt dit karadji ou foncier, et celles qui paient simplement une dîme, l’ouchouri, La première est fortement chargée, et la seconde ne l’est presque pas. On voit à quels abus la porte était ouverte. Des cheiks de villages aggravaient l’impôt du pauvre, l’ouchouri, lequel, de par un long usage, n’était pourtant pas susceptible d’augmentation, pour combler le déficit provenant de rabais accordés à l’impôt karadji.

C’était la cupidité, la terreur des puissans, qui donnaient lieu à ces injustes perceptions. La crainte que le fellah avait de l’arbitraire le rendait prodigue malgré lui. Avait-il économisé une petite somme d’argent, il se hâtait de la gaspiller par peur qu’elle ne lui fût enlevée par le fisc. Ni dans la loi, ni dans l’organisation administrative, le fellah ne trouvait aucune garantie contre les agens. Savait-il d’avance ce qu’on lui réclamerait à titre d’impôt et ne devait-il pas craindre qu’on ne le taxât en raison de l’argent qu’on lui supposerait? Quant à celui qui avait des dettes, il devenait la proie des usuriers. Ce n’était pas seulement ses bestiaux, ses récoltes qu’il lui fallait vendre pour se libérer, c’était aussi son champ, sa terre tant aimée. Les usuriers, auxquels les tribunaux ne pouvaient refuser l’exécution des contrats en apparence réguliers, devenaient ainsi propriétaires d’étendues de terrains considérables, et la petite propriété, au préjudice de l’intérêt même du pays, tendait peu à peu à disparaître.

D’autres charges pesaient alors d’un poids très lourd sur les populations : la corvée et le service militaire. La corvée n’eût dû être employée, comme elle l’était jadis en France, que pour l’exécution des travaux d’intérêt public. En Égypte, cet intérêt public a été si longtemps confondu avec l’intérêt particulier du souverain, que l’Égyptien a toujours travaillé pour le khédive, les princes, les princesses, les pachas, les gouverneurs, les ministres, les riches, sans qu’il en ait reçu une rémunération.

Ismaïl-Pacha lui-même, fait surprenant, avait été tellement frappé de l’abus scandaleux qui était fait de la corvée, qu’à son avènement il déclara que cet abus devait être la cause unique ayant empêché le pays de prendre le développement dont on le disait susceptible. Il manifesta son intention de le détruire. il y a loin entre la coupe et les lèvres d’un fellah corvéable, et le malheureux était encore soumis au service des domaines princiers, — à titre toujours gratuit, — quand l’oublieux Ismaïl quittait forcément l’Égypte.

La durée du service militaire est illimitée, mais, comme en France autrefois, on peut s’exonérer en payant 2,000 francs au ministère