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congédié sans un accord préalable, le service reprendrait son cours de plein droit.

L’état, riche tout à coup, par suite de l’abandon des propriétés immobilières de la famille khédiviale, offrit à MM. de Rothschild de Londres de leur confier tous ces biens, en garantie d’un emprunt de 8 millions 1/2 de livres sterling, plus de 200 millions de francs. Il fut convenu que ces propriétés, considérables par leur étendue, seraient administrées, — pour ne pas dire gouvernées, — par trois personnages, l’un égyptien, les deux autres au choix des gouvernemens français et anglais. M. Waddington, alors ministre des affaires étrangères, désigna à cet effet M. Bouteron, sous-directeur au ministère de l’intérieur. C’était bien l’homme de ces importantes fonctions, the right man in the right place.

Lorsque se fit la cession de ces terres à MM. de Rothschild ou plutôt à l’honorable M. Bouteron, elles étaient exploitées par quatorze princes et princesses ayant chacune une administration spéciale, et dont des corvéables désignés d’office soignaient les cultures. Il ne faudrait point croire que, dans un beau mouvement imité de la noblesse française au 4 août, ces princes aient fait un abandon spontané de leurs propriétés pour alléger ou garantir les dettes de la nation : l’abandon fut forcé.

On peut s’imaginer avec quelle joie et quel empressement les créanciers du gouvernement égyptien accueillirent toutes ces réformes et la perspective de voir affluer l’or dans les caisses abominablement vides du trésor de l’Egypte. Tant de gains énormes, tant d’intérêts usuraires qui paraissaient à jamais compromis, allaient donc enfin se réaliser ! Ce n’était pas tout : il allait y avoir une justice, des lois, et même, chose fort nouvelle, des juges intègres qui protégeraient les humbles, les misérables ! L’âpre curée aux fonctions publiques allait donc être, sinon empêchée, du moins contenue. Le fonctionnarisme,- ce phylloxéra égyptien, ainsi que le traite Nubar-Pacha, — allait être combattu. C’était un retour vers l’âge d’or, le rêve des sept vaches grasses de Joseph se réalisant de nouveau. Hélas ! ce n’était qu’une déception, un de ces mirages que l’on voit si fréquemment au désert. Comment, en effet, avoir eu la naïveté de croire que le maître de l’Egypte aurait abandonné si facilement le pouvoir, et avec le pouvoir, ses biens et ceux de sa famille? C’était, en vérité, beaucoup trop exiger d’un prince habitué à n’avoir d’autre règle de conduite que celle du bon plaisir. L’illusion fut courte, car, au moment où l’on croyait tout fini, c’était entre le khédive et les représentans de l’Europe, au Caire, le commencement d’une lutte sourde, incessante, acharnée, dont le dénoûment ne pouvait être douteux pour ceux qui la suivaient sans passion.

Le ministre des finances ayant exigé, par mesure d’économie, le