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en est de même, du reste, de tout son entourage, et, en première ligne, de Nubar-Pacha, un esprit des plus fins, souple comme un Andalou, séduisant comme un Gascon, Arménien pour tout dire en un mot. C’est aussi le cas de son excellence Riaz-Pacha, surnommé le Thiers égyptien. Un autre Arménien, M. Yacoub Artim, égyptologue très savant, est aussi l’un de nos adversaires intimes, quoique ayant été notre ami à l’époque où l’influence française dominait. Il en est beaucoup d’autres dont les noms m’échappent et qui nourrissent des sentimens hostiles à notre patrie. Tout ceci ne peut m’empêcher de reconnaître que l’inertie du khédive actuel est très excusable, étant placé plus que jamais sous la dépendance de la Turquie, sous la dépendance de l’Angleterre et sous la dépendance d’énormes dettes qui ne sont pourtant pas de son fait. Et son père, Ismaïl-Pacha, a-t-il jamais abandonné entièrement l’espoir de régner en Égypte? Il est permis d’en douter. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas sans une certaine inquiétude que son fils et successeur a appris son départ de la baie de Naples pour Constantinople. On dit que ce déplacement n’a eu d’autre motif que le goût trop prononcé que les Italiens avaient pour le harem de l’ex-khédive et le harem pour les sémillans Napolitains. C’est fort possible : voilà un cas sur lequel les Orientaux n’entendent pas raillerie; mais ce voisinage de l’ex-souverain n’en est pas moins troublant, autant pour ceux qui espèrent une restauration ismaïlienne que pour ceux qui la redoutent. Est-il vraiment possible que le khédive ait de l’initiative, qu’il fasse acte de volonté personnelle, lorsque l’éventualité d’un tel retour le menace, lorsque chacun de ses actes publics est contrôlé par l’agent diplomatique anglais, quand enfin, lui, le fils du prodigue Ismaïl, ne peut dépenser une piastre en dehors de sa liste civile?

Le reproche le plus injuste, il me semble, qui puisse lui être adressé, est celui de rester trop étranger à son armée. Quelle contenance peut donc bien avoir un souverain qui, n’étant pas Anglais, passe en revue des troupes dont le sirdar ou général en chef est Anglais, Anglais les généraux de brigade, Anglais aussi les colonels, les majors, les capitaines, les chirurgiens, etc.?.. Il n’a selon moi, que deux façons de sauver sa dignité : l’une est de se renfermer dans son palais ; l’autre de partir en campagne, non contre le mâhdi, mais avec lui, pour entreprendre une guerre sainte contre tout ce qui est chrétien. Jusqu’à présent, son altesse a pris le moyen le plus praticable.