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éventuelles de dictature. On a voulu manifester pour Baudin, puis on a parlé de le transporter au Panthéon. Bref, la commémoration a été tout simplement exploitée, et elle a eu même un prologue qui pourrait passer pour comique s’il ne s’agissait pas de choses funèbres. Il y a eu, en effet, à la chambre, une scène qu’on pourrait appeler la dispute du cadavre. Les amis du général Boulanger, prompts à détourner le coup dirigé contre eux et à saisir les occasions de popularité, se sont hâtés de prendre l’initiative ; ils ont proposé de porter dès le 2 décembre Baudin au Panthéon. Mais M. Barodet, aidé de M. Floquet, veillait ; il a répondu par un coup de tactique, en proposant de porter, avec Baudin, Carnot l’ancien. Hoche, Marceau, au Panthéon, et d’ajourner la cérémonie au Ik juillet. M. Barodet a gagné la partie ; il est resté maître de la dépouille de Baudin : on n’aura pas la translation le 2 décembre ! Reste toujours la manifestation : celle-là, on ne l’évitera pas, on aura sa journée plus ou moins bruyante, plus ou moins agitée. Tout est possible, et, à vrai dire, ce qu’il y a de plus caractéristique dans cette manifestation, ce n’est pas la manifestation même, c’est l’état révolutionnaire qu’elle dévoile, c’est le rôle qu’a pris le conseil municipal de Paris, en dehors de toute légalité, avec l’assentiment visible ou sous la tolérance d’un ministère complice.

À coup sûr, c’est une vieille habitude de se moquer des lois à l’Hôtel de Ville de Paris. Le conseil municipal ne fait que ce qu’il veut, et il est entendu depuis longtemps que, si l’on annule timidement quelqu’une de ses décisions, il n’en tient aucun compte. Il étend à tout son omnipotence tapageuse. Il règle à sa manière, en réformateur socialiste, les conditions du travail, et au besoin, avec la protection de M. le président du conseil Floquet, il a raison des arrêts du conseil d’état. Récemment encore, il a entrepris d’imposer une grammaire aux écoles. Il refuse à M. le préfet de la Seine une place à l’Hôtel de Ville, et on s’incline devant sa volonté. Il provoque la destitution ou il réclame la retraite de vieux maires, administrateurs prévoyans de leur arrondissement, qui ne sont pas assez radicaux, et au ministère de l’intérieur on subit sa loi. Aujourd’hui il fait mieux. C’est lui qui se charge d’organiser les manifestations dans Paris, et qui a pris l’initiative de la démonstration de demain. Il est le promoteur, le directeur et le maître des cérémonies. Il admet dans son cortège les députés qui voudront se joindre à lui. Il marchera à la tête de toutes les sociétés révolutionnaires enrégimentées à sa suite, et il reçoit même, comme s’il en avait le droit, les délégations des conseils municipaux de province qui veulent s’associer à la manifestation. Il se constitue, en un mot, de son autorité propre, l’arbitre de la paix publique. Voilà précisément ce qui fait de cette manifestation pour un mort l’expression d’un état purement révolutionnaire. Que parle-t-on après cela