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la constitution, reprenant avec une énergique résolution la direction des affaires, offrant au pays un programme simple et net, d’ordre financier, de pacification morale, d’impartialité libérale et protectrice pour tous.

C’est là toute la question : est-ce encore possible à l’heure qu’il est? Il y aurait sans doute des élémens pour cette œuvre. M. le président de la république, pour sa part, pourrait assurément avoir une action utile et décisive dans cette reconstitution d’un gouvernement. Il le pourrait en se faisant une idée plus haute et plus juste de son autorité, en mettant un peu plus souvent dans ses actes l’esprit de sage et prévoyante conciliation qu’il a manifesté dans plus d’un de ses discours et, récemment encore, pendant son voyage de Lyon, en ne craignant pas de prendre une initiative ou de refuser son nom à des projets qu’il désapprouve. Et c’est un point à bien préciser : M. le président de la république, en agissant ainsi, ne sortirait pas de son devoir, de son rôle légal; il ne ferait au contraire que revenir à la constitution et à son esprit. Le sénat, lui aussi, pourrait être un de ces élémens de reconstitution. Par une coïncidence singulière, le sénat, si souvent attaqué et même si directement menacé par M. Floquet, a gardé plus de crédit et d’autorité que l’autre chambre. Il pourrait sûrement être un point d’appui utile. Avec quelques-uns des élémens modérés de la chambre des députés, avec le sénat et M. le président de la république, peut-être pourrait-on tenter encore de refaire un gouvernement, de rallier le pays en le rassurant, en le détournant des aventures. Ce qui est certain, c’est que le moment est décisif, et que, si on ne fait rien, si on ne tente rien, il ne reste plus que les élections préparées dans la confusion, — l’urne d’où sortira pour la France le grand inconnu !

Il faut en prendre son parti, la paix universelle n’est pas encore de ce monde. La paix, la plus simple paix du moment, est tout ce qu’il y a de plus fragile et de plus incertain dans cette vieille Europe qui, avec ses armemens démesurés, ses conflits latens et ses éternelles incohérences, reste livrée à l’imprévu. Les suspicions sont dans les rapports des peuples et des gouvernemens. Les plus vulgaires incidens deviennent de grosses affaires, et même quand il n’y a rien, les polémistes attitrés de la triple alliance, ces sévères gardiens de la paix européenne, se chargent de créer quelque agitation factice de circonstance. D’habitude, le mot d’ordre vient de Berlin ou de Cologne; il retentit aussitôt à Vienne et à Pesth; il a même quelquefois un écho jusqu’en Angleterre. C’est invariable, de temps à autre il faut qu’il y ait quelque alerte, quelque campagne de mauvais bruits, comme pour tenir le monde en haleine. Tantôt c’est la France qui est la grande suspecte, qui ne peut faire un mouvement sans exciter toutes les défiances et être accusée de méditer une prochaine entrée en campagne;