Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/756

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

éclopés. L’administration militaire s’évertuait à parer à ces inconvéniens et n’y réussissait pas toujours ; « elle était quelquefois paralysée par l’insuffisance même des ressources dont elle disposait, dit le général Riu ; ce n’est pas avec la modeste somme de 1 fr. 25 par jour que le soldat évacué sur les ambulances du littoral pouvait trouver dans son long et pénible voyage de quoi s’assurer tout le bien-être qu’exigeait son état[1].

Un jour, dans une de ces heures d’inquiétude et de malaise comme il en sonne trop souvent au cours des expéditions militaires, surtout dans les contrées de civilisation incomplète, on aperçut un convoi qui se dirigeait vers le campement. On s’interrogeait, on regardait, et l’on finit par distinguer la bannière de la convention de Genève. Il n’y eut qu’un cri : « c’est la Croix rouge! » Oui, c’était la Croix rouge qui, à travers mille obstacles, sous la conduite d’un de ses délégués, M. Gandolphe, arrivait avec un ravitaillement de bouteilles d’eaux minérales, de médicamens, de substances alimentaires et quelque argent pour les soldats dénués. Il fut le bienvenu, ce convoi inespéré, car les boîtes de pharmacie étaient vides et l’eau des mares saumâtres était périlleuse à boire. La provision de sulfate de quinine était ample et dépassait les besoins de la brigade que la Société de secours venait de rencontrer, après de dures étapes, dans un pays plus que stérile. Sur ces terres mal remuées depuis des siècles, l’air que l’on respire est l’haleine même de la fièvre; le sulfate de quinine y est plus précieux que l’or. J’ai traversé jadis des douars arabes atteints par la fièvre : les hommes hâves, les femmes décharnées, les enfans au ventre ballonné accroupis près des tentes, semblaient attendre que l’ange noir les eût touchés. Nulle défense, nulle résistance contre le mal; à quoi bon? ils savent depuis longtemps que la récitation des versets du Coran, que les incantations du sorcier sont impuissantes à détruire « la bête jaune » qui les mange ; mais ils n’ignorent pas que le roumi possède une poudre blanche qui chasse la fièvre, et cette poudre magique, ils n’en ont pas ; donc ils se résignent. Mais la résignation des musulmans ne va pas jusqu’à dédaigner le merveilleux antidote, et lorsqu’ils le reçoivent, en temps de maladie, leur gratitude est sans bornes. Des tribus belliqueuses, qui avaient résisté à nos fusils et à nos obusiers de montagne, se sont soumises et sont restées fidèles en échange de quelques paquets de quinine. Admirable guerre que celle-là où il n’y a d’autres vaincus que l’épidémie! Grâce à la Croix rouge, nous avons, en Tunisie, remporté une de ces bonnes victoires. La tribu des Souassi était plus que boudeuse et mécontente ; elle

  1. Société de secours, etc., troisième délégation; comité départemental de Loir-et-Cher, assemblée générale du 4 avril 1886, p. 24, Allocution du général Riu.