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peuples. La vérité, c’est qu’il est trop patricien pour être aristocrate. La conception aristocratique n’est pas, sans doute, une conception populaire, mais, par certains côtés, c’est une conception très bourgeoise. Une preuve, c’est qu’il nous arrive, à nous bourgeois du XIXe siècle, de n’en pas avoir horreur. Dès que nous ne nous sentons pas absolument unus ex omnibus dès que nous appartenons à quelque chose, nous souhaitons que ce à quoi nous appartenons ait des privilèges. L’aristocratie n’est que du peuple qui s’organise, et elle a pour les organisations, si humbles soient-elles, qu’elle forme, les mêmes prétentions que la démocratie pour les individus. Elle réclame pour des classes les droits que la démocratie réclame pour les personnes ; elle attribue à une collectivité une portion de souveraineté, comme la démocratie attribue une portion de souveraineté à chaque individu. C’est de l’individualisme encore, en ce sens que c’est encore de la division. Chaque classe est une personne morale, un individu social plutôt, qui a son compte de droits inaliénables inscrit au grand-livre, sa petite propriété politique inviolable et sa part de royauté. Que ce système soit moins grossier que la démocratie pure, il est possible, mais il lui ressemble. C’est toujours la souveraineté partagée. Or la souveraineté partagée, c’est ce que de Maistre ne peut pas comprendre. Unité, continuité, voilà la vérité sociale. Droits des classes ou droits des individus, ce n’est pas tout un, mais c’est même but; cela va toujours à une dispersion et à une discontinuité : à une dispersion ; car ce qui fait vivre une nation, c’est une pensée unique, et penser en commun n’est pas possible, toute délibération produisant, non une idée, mais une transaction ; à une discontinuité, car cette suite de transactions n’est pas le développement d’un dessein unique, mais une série d’expédiens. — Donc, de droits des classes, il n’en faut pas plus que des droits de l’homme. Ce ne sont pas là des vérités, ce sont des créations factices ; ce sont des noms honorables donnés à des égoïsmes individuels ou à des égoïsmes collectifs. Et ce ne sont pas des élémens sociaux, ce sont des forces séparatistes. Ce sont, non des manières de participer à la vie nationale, mais des tendances à s’en détacher. Le « droit de l’homme » n’est que le désir de n’être citoyen que le moins possible ; le droit de classe n’est que la prétention de former une société particulière dans l’état. La nation se disperse déjà dans le système aristocratique; elle s’émiette dans la démocratie, et après, il n’y a plus rien.

De Maistre ne reconnaîtra donc point de droits à la caste dont il est, ni à nulle autre. Pour lui, les grands, les sages, les savans, les bons n’ont point de droits, et c’est en quoi il n’est pas aristocrate; mais ils ont des devoirs, et c’est en quoi il est patricien.

Une caste n’est pas une fraction du peuple détachée du peuple