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de l’œuvre commune dont il avait été le promoteur et le directeur.. Après avoir débuté par une production de 2 tonnes de houille par jour, il était arrivé à une extraction qui dépassait 3,000 tonnes par vingt-quatre heures. Parti de rien, aidé par les circonstances qu’il sut faire servir à sa fortune, ce laboureur intelligent fut, de son temps, l’homme le plus riche de l’Angleterre, the wealthiest commoner of England comme le désignaient ses contemporains. Ses résidences princières, ses fermes, ses parcs, ses jardins lui avaient coûté 2 millions de livres sterling (50 millions de francs). Son revenu annuel atteignait 10 millions de francs, et ses mines occupaient plus de 10,000 ouvriers. Si la chance lui fut favorable, si, né à une époque d’évolution commerciale, le courant le porta au plus haut point, il sut pressentir ce courant, aller résolument de l’avant, suppléer par le travail et l’observation à l’éducation première qui lui faisait défaut, triompher, par l’énergie et la volonté, des obstacles de la pauvreté et de l’humilité de son origine.


VI.

En 1832, les électeurs de Newark étaient convoqués pour procéder à l’élection d’un membre du parlement. Newark était alors un bourg et appartenait au duc de Newcastle. Propriétaire du sol et des maisons, il l’était aussi du vote des habitans, auxquels son régisseur désignait le candidat du duc. Cette simple formalité suffisait pour assurer l’élection. Le bourg votait comme un seul homme, sans s’inquiéter autrement de la personnalité et des opinions politiques de son représentant. Les électeurs, tenanciers du grand seigneur, dépendaient de lui ; il pouvait les expulser en leur donnant avis six mois d’avance, ne louer qu’à ceux qu’il agréait, imposer à son gré les prohibitions qui lui convenaient. Il nommait aux cures vacantes ; son déplaisir était redoutable, sa faveur toute-puissante. Trente et une familles nobles, dit Sanford, comptaient alors cent dix de leurs membres dans la chambre des communes, et « ces trente et une familles de l’aristocratie territoriale pesaient autant dans la balance politique que Londres et les quarante villes qui viennent après Londres, autant que l’Irlande, deux fois plus que l’Ecosse <<ref> Le Développement de la constitution en Angleterre, par M. E. Boutmy, p. 283. </ef>. »

Il y a de cela un peu plus de cinquante ans seulement, et il semble, en s’y reportant par la pensée, qu’on pénètre dans un monde et dans une organisation sociale dont des siècles nous séparent.