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provocatrice en quelque sorte, expectative qui, ne devant rien sauver ni rien préserver, eût dû ne pas se produire. On m’a mille fois affirmé, et je ne saurais trop le répéter, que la présence à terre des compagnies de débarquement des deux flottes eût empêché l’assassinat et l’incendie. Oui, cela pouvait être évité, mais alors l’Angleterre n’eût pu réaliser ses projets. Une intervention à deux n’était pas ce qu’il lui fallait. Elle ne devait faire débarquer ses marins que lorsqu’elle aurait vu le dernier bateau de l’escadre française disparaître en dehors des passes d’Alexandrie. C’est ce qu’elle fit. Comme à nous, elle proposa, plus tard, aux Italiens et aux Turcs, d’intervenir. En ce qui nous touche, elle savait mieux que personne que M. de Freycinet, pour complaire au parti anticolonial français, ennemi de Gambetta, se désintéresserait de l’Égypte ; que l’invitation faite à l’Italie n’était pas sérieuse ; quant à la Sublime-Porte, il lui fut imposé de si ridicules conditions de débarquement sur son propre territoire, que sa dignité de puissance suzeraine en Égypte l’obligea à s’abstenir, ainsi que les Anglais y comptaient[1].

Le dimanche, 11 juin 1882, vers les deux heures de l’après-midi, lorsqu’une partie de la population chrétienne est allée au bord de la mer, au Ramleh, chercher un peu de brise, la tourmente populaire éclate. Des coups de couteaux échangés entre un Maltais et un Arabe en sont comme le signal, car aussitôt, l’on entend à la fois, et sur trois points différens de la ville d’Alexandrie, des détonations isolées d’armes à feu ; puis, ce sont des Arabes armés de bâtons et de sabres qui, hurlant, vociférant les cris de : « Mort aux chrétiens ! » se précipitent sur les Européens isolés, les blessent ou les tuent. Ceux qui leur échappent se réfugient dans les postes de la police, où les Moustaphasins les reçoivent avec empressement, mais pour leur percer la poitrine à coups de baïonnette. A quatre heures, l’émeute continue encore; heureusement que les Bédouins campés hors de la ville ignorent ce qui s’y passe. Pillards

  1. Voici le texte de la décision prise par la Sublime-Porte : « Art. 1er. Le gouvernement impérial ottoman, ayant l’intention d’envoyer un corps d’armée en Égypte, fixe le chiffre de la première division à 5,000 ou 6,000 hommes, en se réservant d’arriver au nombre nécessaire, d’après une entente ultérieure entre les hautes parties contractantes. — Art. 11. Les troupes expéditionnaires ottomanes débarqueront à Aboukir. » L’Angleterre ayant exigé que le débarquement se fît à Rosette et à Damiette, la Sublime-Porte ne donna pas suite au projet. — Le 14 juillet, trois jours après le bombardement d’Alexandrie, le gouvernement italien télégraphia à son ambassadeur à Londres qu’il n’avait pas connaissance de tous les faits relatifs au bombardement, mais qu’il croyait, d’après les déclarations faites par le gouvernement anglais, que cette opération militaire n’avait d’autre objet que le désarmement des forts d’Alexandrie, et que l’arrangement de la question égyptienne serait laissé à la conférence qui se tenait à Constantinople. (Livre vert d’Italie, 1882.)