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Pourquoi nos nationaux n’auraient-ils pas fait comme tout le monde lorsque le consul de France M. Sinkiewich écrivait, le 14 juin, au député français, M. Karcher, « qu’il se rend à Alexandrie et qu’il engage ses compatriotes à considérer une absence momentanée comme la plus sûre des garanties ? » Ce fut aussi l’opinion du khédive et de ses ministres ; ils quittèrent le Caire pour aller habiter sur les bords de la Méditerranée le palais de Ras-el-Tin.

En fait, Arabi seul gouvernait, et, malgré la création d’un nouveau ministère, son altesse Tewfik était plus que jamais impuissante. L’attitude de l’armée devenait également inquiétante ; et comme il m’y avait plus de commerce et d’industrie, que des milliers de serviteurs sans maître et d’employés sans place erraient dans les rues demandant du travail ou une poignée de riz pour vivre, tout était à redouter.

On crut conjurer de grands malheurs en créant des conférences diplomatiques à Thérapia ; les représentans des puissances européennes s’y trouvèrent au complet ; se défiant les uns des autres, leur premier soin fut de s’engager « à ne rechercher aucun avantage territorial, ni la concession d’aucun avantage exclusif, ni aucun avantage commercial pour leurs nationaux, que ceux-là mêmes que toute autre nation pouvait également obtenir.» Comme l’honnêteté, le désintéressement des puissances en ressort clairement ! Cela ne suffisant pas, dans la troisième séance que tinrent les conférenciers, il fut entendu que « pendant la durée de leurs travaux, les puissances s’abstiendraient de toute entreprise isolée en Égypte. Durant ces pourparlers, Arabi augmentait l’armée qui, de 12,000 hommes s’élevait bientôt à 25,000 : 8,000 à Alexandrie, 3,000 au Caire, 5,000 à Damiette, 2,500 à Rosette, et le restant à Port-Saïd, Ismaïl et Suez. L’amiral anglais, sir Seymour, eut alors un commencement d’inquiétude. Ayant appris que Tulba-Pacha, le gouverneur militaire d’Alexandrie avait, l’intention d’obstruer les passes de la rade, il lui notifia qu’il considérerait cet acte, s’il se produisait, comme une déclaration d’hostilité. Arabi ayant fait monter de nouveaux canons dans les batteries défendant la mer, l’amiral déclara encore cette fois que, si des travaux d’attaque ou défense étaient constatés, il ouvrirait le feu sur les œuvres en cours de construction.

Les consuls-généraux des grandes puissances, désireux d’éviter un bombardement qui de jour en jour devenait plus imminent, écrivirent à l’amiral anglais pour lui donner l’assurance qu’une telle agression ne pourrait s’opérer sans entraîner de graves périls pour la population chrétienne et indigène, et sans la destruction d’un nombre incalculable de propriétés européennes. L’amiral répondit