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emportant avec elle notre prestige en Égypte. C’était rompre avec nos plus glorieuses traditions : partir quand on allait combattre; que nos marins s’en consolent pourtant, ils n’auraient acquis aucune gloire à rester.

Ce ne fut qu’au cinquième coup de canon des Anglais que les batteries égyptiennes de terre répondirent avec un entrain et une furie dignes d’un meilleur résultat. On vit, mais sans surprise, que la plupart des projectiles égyptiens tombaient à moitié chemin de leur but. Si quelques-uns frappaient les cuirassés, on les apercevait, après avoir rebondi comme des ballons élastiques, retombant à la mer. Les énormes obus lancés par les vaisseaux l’Alexandre, le Sultan, le Superbe, l’Inflexible, le Téméraire, le Monarque, l’Invincible et cinq canonnières, s’amoncelaient comme grêle sur les forts, qui, pour la plupart sans parapets, voyaient par centaines tomber et mourir leurs défenseurs. Ce combat, d’une inégalité navrante, dura jusqu’à six heures du soir. À cette heure tardive, les murailles étaient démolies ; quatre cents canons jonchaient le sol, démontés ou brisés, et le plus grand nombre des servans étaient morts depuis longtemps à leur poste de combat. Les Anglais, par suite d’une manœuvre maladroite de l’un de leurs bateaux, eurent neuf morts et vingt-huit blessés.

Quelle devait être la conduite de l’amiral à la fin de cette journée? Opérer un débarquement immédiat de toutes ses forces disponibles, et occuper à l’abri de ses cuirassés la ville. Il n’en fit rien ! Il livra une cité magnifique à des milliers de bandits qu’un pillage facile devait tenter. Elle fut saccagée et livrée aux flammes. Des lueurs rougeâtres, en se reflétant dans la mer et dans le ciel, apprirent au khédive, à ses ministres, aux Européens en rade, que la ruine d’une grande cité s’accomplissait. Cette nuit sinistre devait, en outre, coûter 25 millions de francs à l’Égypte, à l’Égypte si dénuée d’argent, si misérable déjà. Elle a payé largement les pertes de tous ceux qui purent justifier leurs dommages ; mais il lui reste encore à relever ses fortifications, à les armer de canons, et c’est encore de l’argent qu’il lui faut pour cela; or, elle est à bout de ressources dès qu’elle a payé l’intérêt de ses dettes et les émolumens de ses nombreux conseillers.

Deux jours après, le 15 juillet seulement, les Anglais débarquaient à Ras-el-tin et à Gabari ; leur exemple était suivi par les équipages des navires grecs de guerre, l’Hellas et le Roi Georges, ainsi que par les marins de bâtimens américains et russes, qui trouvèrent le quartier européen incendié et la place des Consuls toujours en flammes. Des pompes, manœuvrées avec vigueur, réussirent à se rendre maîtresses du feu, et lorsque, de ce côté, rien