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C’est à Yeddo, cela va sans dire, qu’il faudra se transporter pour voir cette fête des chrysanthèmes, qui est de tradition antique. Avec la fête des cerisiers en avril, c’est la seule occasion où l’impératrice puisse être aperçue, et seulement par un petit nombre de privilégiés, au fond de ses jardins. Il y a peu d’années encore, paraît-il, elle vivait aussi invisible qu’une vraie déesse ; lorsqu’elle devait quitter l’enceinte immense du palais d’Yeddo pour se rendre dans quelqu’un de ses parcs éloignés à la campagne, on enveloppait de longs voiles violets sa chaise à porteurs en laque d’or, et des valets couraient devant pour faire fermer sur son passage les portes et les fenêtres.

Le 9 novembre, au matin, il fait, hélas ! un temps d’automne gris et sombre ; le ciel est tout d’une pièce. Et vers midi, comme j’arrive à Yeddo, par le train d’Yokohama, en belle toilette pour la souveraine, de premières gouttes de pluie commencent à tomber, lentes, fines, très inquiétantes. Yeddo est bien laid et bien triste par un temps pareil. Aucun indice nulle part de cette chose presque féerique qui va peut-être se passer à deux pas d’ici dans un moment : une fête de fleurs, présidée par une impératrice du Japon, au milieu de très mystérieux jardins. Non, rien qui y prépare les yeux ni l’esprit. Toujours cette même succession de vilaines petites rues boueuses, noirâtres, pareilles, au milieu desquelles me roulent deux coureurs de louage. Dans quelle direction est-il même, ce palais d’Akasaba où je leur ait dit de me conduire ? Je l’ignore complètement, je ne l’ai jamais aperçu dans mes promenades (c’est si grand et si délayé, ce Yeddo !) — Du reste, on s’est, peut-être efforcé de le dissimuler, lui aussi, de le rendre invisible comme les personnes qui le hantent: il me fait l’effet maintenant d’un lieu à moitié chimérique. Nous franchissons des terrains vagues, des cloaques, des fossés où les lotus sont déjà jaunis et fripés par le vent du nord, des enceintes de remparts bas ressemblant à des murs cyclopéens qui, je ne sais pourquoi, coupent la ville. Et nous croisons des passans crottés, vêtus tous de piteuses robes en coton bleu qu’ils retroussent sur leurs jambes nues. En somme, un Japon maussade et banal, que j’ai déjà vu cent fois, et qui prend un air pleurard encore plus ennuyeux sous la pluie,.. car je crois qu’elle tombe, l’affreuse pluie, décidément.

« S’il pleut le 9, la fête sera le 10. » — Allons, il pleut, c’est incontestable; il pleut même à verse à présent. Inutile de se faire conduire au palais; d’ailleurs je suis déjà trempé, plus du tout présentable. Mais que devenir? On ne peut vraiment pas aller rôder dans les maisons de thé en grand uniforme !.. Mes coureurs rabattent sur moi la capote de mon petit char, ils endossent leur