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pour m’illusionner sur ce point ; j’ai déjà vu dans ce pays des habitations seigneuriales, et je sais en outre que le culte shintoïste, dont le mikado est grand-prêtre, recommande la simplicité, attache même au modeste bois naturel une idée religieuse toute particulière. Cependant cet idéal de nudité dépasse encore mon attente ; des montans de bois blanc tout uni, des panneaux de papier uni tout blanc, — Et rien nulle part, rien, absolument rien.

Mais la propreté, la simple propreté, poussée à ce point extrême, constitue à elle seule un luxe ruineux, dont l’entretien est presque inexplicable. Tous ces bois, qui sont sans une sculpture ni une moulure, menuisés à arêtes vives avec une précision d’horlogerie, paraissent n’avoir jamais subi l’attouchement d’une main humaine ; ils ont cette teinte vierge toute fraîche qui s’altère si vite, même au seul contact de l’air. Tous ces plafonds, tous ces panneaux, sur lesquels on chercherait en vain la trace d’une promenade de mouche, sont faits chacun d’une seule grande feuille de papier blanc, tendue sans un pli, collée sans une tache, par je ne sais quels incomparables tapissiers d’une espèce inconnue chez nous. Et parterre, sur ces nattes fines qui ne sont ni teintes ni ouvrées, il semble que personne n’ait jamais marché. Combien de fois par an faut-il renouveler toutes ces choses, et les choisir entre mille, pour obtenir cet effet d’immaculée blancheur?..

Les étroits couloirs se prolongent, toujours pareils ; de distance en distance, quelque châssis entr’ouvert laisse voir un appartement vide, — un compartiment plutôt, — à parois de papier, où tout est de la même nudité absolue. Et vraiment, si on ne savait pas, jamais on ne devinerait dans quel lieu très particulier défilent nos habits brodés et nos habits noirs.

Cependant voici une première apparition quasi fantastique, qui nous donne l’éveil : au milieu de cette monotonie blanche, par l’ouverture de l’un de ces minces châssis, se montre tout à coup une petite créature vieillotte, une fée sans doute, éblouissante comme un colibri, dans un costume qui est une quintessence d’étrangeté. Toute petite, parcheminée, ridée, extraordinaire dans sa laideur comme dans son luxe d’un autre monde, elle est quelque princesse probablement, — ou bien une dame d’honneur. Elle porte la tenue de cour, qui doit remonter à plusieurs siècles. Ses cheveux gommés sont éployés en éventail autour de sa plate figure aux yeux bridés et presque morts. Elle a des culottes en soie lourde, d’une pourpre magnifique; des culottes très bouffantes qui s’extravasent par le bas en gigantesques « pieds d’éléphant ; » — Et un long camail à la prêtre, d’un vert réséda qui change et chatoie, tout semé de chimères multicolores dont les reflets sont comme ceux des gorges d’oiseaux-mouches.