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Pouvions-nous armer quand il n’armait pas ? Après le coup de tête de l’Autriche, qu’elle a payé cher, nous n’avons pas perdu un instant pour préparer notre attitude militaire, et agir en même temps sur la Prusse et par la Prusse sur l’Allemagne. Nous l’avons fait avec les ménagemens que demandaient les liens de famille, mais nous l’avons fait avec loyauté. On s’est étonné du peu d’effet que notre attitude militaire avait produit sur l’Autriche, qui n’avait pas hésité à dégarnir ses frontières du côté de la Russie pour porter toutes ses forces contre vous en Italie ; je sais qu’on a insinué, non pas chez vous, mais ailleurs, que nous avions rassuré cette puissance contre toute crainte sérieuse de notre part, et que nous lui avions promis la neutralité. — Nous n’avons rien fait de pareil, l’Autriche n’a jamais eu notre dernier mot. Comment expliquer alors qu’elle ait dégarni ses frontières ? Pour un seul motif : elle ne pouvait pas faire face des deux côtés ; le danger qu’elle courait en Italie était certain, imminent ; celui qu’elle pouvait redouter de notre part était sérieux, mais éloigné. »

Le duc de Montebello écouta ce monologue rétrospectif, qu’il n’avait pas provoqué, avec recueillement. Il n’avait pas mission de récriminer. Il se borna simplement à demander au ministre pourquoi il n’avait pas dit à Berlin que si la Prusse déclarait la guerre à la France, la Russie s’y opposerait. — « Je ne l’ai pas fait, répondit le prince, parce que j’ai mieux aimé être accusé par vous de n’avoir pas assez fait, que de vous encourager à pousser plus loin une guerre dont je redoutais l’issue. » — « Quoi qu’il en soit, écrivait M. de Montebello à son gouvernement, on ne peut pas nier que la Russie n’ait loyalement tenu ses engagemens. Elle est la seule puissance dont la neutralité ait été bienveillante pour nous, inquiétante pour nos ennemis, sans se faire valoir et sans rien nous demander en retour. J’ai dit, du reste, ajoutait notre envoyé, à l’empereur Alexandre qu’une des raisons qui avaient déterminé l’empereur Napoléon à faire la paix, c’était la crainte d’être obligé, si la guerre se généralisait, d’agir contre sa politique en soulevant la Gallicie et la Hongrie. Ces assurances l’ont beaucoup touché. »

Les prévisions du comte Walewski, on le voit par ce récit, s’étaient en partie justifiées. En entreprenant une guerre qui ne répondait pas à l’intérêt de la France, l’empereur avait imprudemment exposé son pays. S’il échappa à l’intervention de l’Allemagne, dont son