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nombreuses qu’en France, une quinzaine par exemple en Allemagne, conservèrent chacune sa vie propre, ses ressources spéciales, son recrutement presque spontané, son administration, sinon complètement autonome, du moins dotée d’assez de libertés ou de franchises. Les méthodes gardèrent ou prirent avec le temps de la variété et de la souplesse : les maîtres ne soutinrent pas tous la même thèse : il y eut parmi eux cette diversité de vues et de jugement qui fait la vie et le mouvement intellectuels. Les professeurs ne furent pas de simples fonctionnaires, rétribués par un traitement fixe, égal pour tous ceux du même rang, invariable, quels que fussent les efforts et le succès. Ils eurent, comme fonds de subsistance, un salaire modique, annuel, puis, comme les avocats, comme les médecins, comme les architectes, comme les simples maîtres privés, des « honoraires » que leur payèrent leurs auditeurs, un ou deux « frédérics d’or » par semestre. Bien plus, même le traitement fixe n’était pas absolument uniforme : il est, en effet, telle branche de la science, comme l’enseignement du sanscrit ou de l’hébreu, qui ne peut attirer autour d’une chaire un grand nombre d’étudians ; les « honoraires » pour cet enseignement doivent naturellement être médiocres ; il fallait que le traitement fixe fût plus relevé. L’amour-propre des universités y pourvoyait. Toutes celles de premier rang, bien pourvues de ressources, tenaient à s’assurer un maître dont le nom jetât sur elles de l’éclat. On en voyait deux ou trois entrer en lutte, Gœttingen et Leipzig, je suppose, pour se disputer un professeur célèbre ; elles bataillaient à coups d’enchères, chacune faisant ses offres, et l’homme illustre se décidait par toutes les raisons variées qui peuvent influer sur l’esprit de tout homme et dont l’une, n’en déplaise à une hypocrite délicatesse, est la rémunération pécuniaire. Dans l’intérieur de chaque université aussi, on copie presque les procédés des industries vulgaires et libres : pour chaque enseignement, il y a deux ou trois chaires rivales, certaines qui attirent une affluence d’auditeurs, d’autres qui sont occupées dans le désert. Il y a bien près d’un quart de siècle, j’assistai, à Berlin, aux leçons d’un philosophe qui eut son heure de célébrité, mais qui alors était déchu ; quatre étudians seulement écoutaient sa parole discréditée ; devant la chaire d’à côté, sur le même sujet, on comptait régulièrement deux cents auditeurs. Puis l’enseignement est ouvert, à leurs risques et périls, aux jeunes hommes qui ont rempli certaines conditions de diplômes et qui se croient du talent. Ils peuvent s’essayer, sans attendre une nomination qui souvent serait arbitraire ou lente. Ainsi, pour le haut enseignement, on a su, dans certains pays, dans un surtout, l’Allemagne, limiter l’action bureaucratique de l’état, maintenir une certaine indépendance d’administration à chacun des