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centres universitaires, y copier les modes de l’industrie privée : la concurrence, soit intérieure, soit extérieure, l’inégalité des traitemens, la rémunération directe et personnelle, pour une partie du moins, par l’auditeur. Cette méthode, si féconde dans toutes les professions commerciales et libérales, s’est montrée efficace pour la plus élevée des carrières humaines ; l’émulation, aussi bien entre les groupes scolaires qu’entre les maîtres et les élèves, a porté ses fruits habituels. Les universités allemandes ont été des centres vivans et actifs, remuant les idées, rayonnant chacune dans sa région et pénétrant, par une répercussion indéfinie, d’un esprit scientifique presque toutes les couches sociales. Nous, Français, avec notre rigoureux monopole d’état et notre organisation bureaucratique de l’instruction, nous avons eu d’aussi grands savans et d’aussi grands littérateurs que l’Allemagne ; mais nous avons manqué de cette pléiade de maîtres, dans l’acception exacte du mot, et de ces légions de véritables étudians. Bien plus, nous n’avons pas su retenir dans l’enseignement ceux qu’une vocation naturelle, les circonstances et leurs études elles-mêmes y destinaient : pendant une dizaine d’années, sinon une vingtaine, toute la tête de notre école normale des lettres se dérobait aux postes obscurs que, par un mécanisme absurde, on lui offrait, et allait consumer des forces précieuses dans une littérature souvent hâtive, superficielle et presque sans profit pour le pays.

On est revenu depuis quelques années, en partie du moins, de cette fausse voie. On a cherché à diminuer le joug de la bureaucratie d’état sur le haut enseignement français ; on s’est essayé à rétablir les anciennes universités, à leur rendre un souffle d’autonomie. On a multiplié les maîtres de conférences, on a prodigué les bourses ; à défaut d’élèves spontanés et payans, on a institué des quantités d’élèves payés. Tous ces efforts n’ont pas été inefficaces : certains de nos maîtres sont de grands professeurs, dans toute l’acception du terme. Mais le succès est encore bien incomplet, parce que l’on a un mauvais point de départ. On ne retrouve pas ici, comme en Allemagne, cette indépendance et cette vitalité, en quelque sorte naturelles, parce qu’elles sont traditionnelles et ininterrompues, des universités régionales ; on n’y voit pas ces méthodes analogues à celles de l’industrie privée : l’inégalité des traitemens, la concurrence sous ses formes diverses, la rémunération fournie directement au maître par l’élève même. En Allemagne, il est vrai, devons-nous dire, la prépondérance nouvelle que tend à gagner chaque jour davantage l’université de Berlin commence à modifier un peu l’organisation si souple et si vivante qui a fait des universités allemandes de si grandes choses.

Un mérite incontestable que nous avons eu, ç’a été d’introduire