Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/305

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

battu par la tempête, perd ses branches et sa frondaison, le sol apparaît nu ou à peine couvert de quelques maigres broussailles.

Quels que soient les défauts que je viens de décrire, c’est surtout par les secours qu’il donne sous le nom de bourses que l’enseignement de l’état a de fâcheux effets. A l’époque mouvementée de la civilisation où nous sommes placés, la plupart des hommes n’ont que trop de tendance à sortir de la situation où ils sont nés. L’envie démocratique, l’exemple de nombreux et célèbres parvenus dans la politique, dans les lettres, dans les sciences, rendent l’ambition universelle. Tout le monde fait l’éloge du travail manuel et personne n’en veut plus. Cependant, il est dans la nature des choses que le travail manuel doive occuper les neuf dixièmes de l’humanité. Les travaux purement intellectuels, ceux du savant, du lettré, de l’ingénieur, du médecin, de l’avocat, de l’administrateur, les travaux mixtes, comme ceux du contremaître et de diverses catégories de commerçans, ne peuvent employer qu’une certaine élite des hommes. Et il faut bien s’entendre sur ce mot d’élite : s’il est utile que les hommes tout à fait supérieurs abandonnent les professions manuelles, il est bon, néanmoins, qu’il se trouve dans celles-ci un assez grand nombre de gens ayant de l’intelligence naturelle. Ils communiquent de l’animation et de la vie à la masse qui les entoure ; s’ils en étaient retirés, cette masse deviendrait plus inerte. Qu’un grand médecin ou qu’un grand ingénieur soient perdus pour la société, c’est un malheur véritable ; mais qu’un homme qui aurait pu être un médecin ordinaire, ou un ordinaire avocat, ou un architecte comme tant d’autres, demeure ouvrier ou paysan, je n’y vois, quant à moi, aucun mal. Il est utile que beaucoup de ces intelligences un peu plus fortes que celles du vulgaire restent parmi le vulgaire, si l’on ne veut pas voir les couches inférieures de la population devenir beaucoup plus rebelles encore à toute culture qu’elles ne le sont aujourd’hui. Un ouvrier intelligent, frayant avec ses camarades qui le sont moins, exerce sur leur esprit une heureuse influence ; tirez-le de ce milieu, faites-le avocat, ou médecin, ou employé de bureau, la société n’y gagnera rien, car elle foisonne de gens de cette sorte, mais le petit groupe d’ouvriers où il vivait en deviendra moins éveillé, moins actif, plus somnolent. Les démocrates se sont épris de ce qu’ils appellent « l’instruction intégrale, » c’est-à-dire d’un procédé qui puiserait dans toutes les couches de la population tous les esprits ayant quelque valeur, et qui les placerait sur des échelons sociaux plus ou moins élevés suivant leurs facultés. Trois députés, dont l’un jouit de la plus haute faveur dans le monde radical, MM. Charonnat, Legludic et Anatole de La Forge, ont déposé dans ce sens une proposition de loi qui a reçu l’adhésion d’un grand nombre de membres de la chambre. Il s’agit