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dans leur haine, fournirent au mâhdi de l’or, les premières armes et les premiers soldats ; ils lui constituèrent une armée d’ardens fanatiques qui devaient, — ils l’espéraient du moins, — rejeter les étrangers jusqu’à la mer. Et ce n’était pas tout à fait une armée de barbares, car son état-major était européen, et les cadres se trouvaient composés d’Égyptiens déserteurs et d’Arabes intelligens. Elle comprenait, il est vrai, des noirs armés simplement de coutelas, mais beaucoup d’entre eux possédaient des fusils à silex, des remington, de l’artillerie de campagne et même des mitrailleuses.

De 1882 à 1887, ce ne sont que désastres au Soudan, où plusieurs généraux anglais, et dans ce nombre le plus illustre d’entre eux, lord Wolseley, renoncent à lutter contre un climat meurtrier et un fanatisme religieux qui transforme en « lions crêtés » ceux qui en sont possédés. Dès son entrée en campagne, Mohamed-Ahmed ou le mâhdi bat à plate couture Réouf-Pacha, le gouverneur de Khartoum ; il fait de même au mois de juin 1882, juste au moment où la populace d’Alexandrie égorgeait les habitans de cette ville. Un mois après, en juillet, le corps d’armée de Yousef-Pacha est mis en pièces. Et quel carnage ! Pas un soldat du khédive n’échappe à la fureur des bandes qu’entraîne à sa suite le prophète venu du Sud[1]. Nouvelle coïncidence : le mâhdi est maître d’une grande partie du Soudan, de même qu’Arabi est le maître de l’Égypte.

Cependant, lorsque le premier apprit que les soldats anglais débarquaient en armes sur plusieurs points du Delta, il passa le Nil blanc et se cantonna en vue d’El-Obeïd, la capitale du Kordofan. Des officiers autrichiens y commandaient les troupes égyptiennes. Comment ce prétendu barbare les force-t-il à capituler ? Mais d’une façon toute naturelle : par un sévère blocus, en occupant les routes et en interdisant la navigation sur le Nil. El-Obeïd et sa population de 30,000 âmes, sa citadelle et ses forts détachés, se rendirent vaincus par la famine. Tout cela n’est-t-il pas d’une tactique habile, et y a-t-il beaucoup de choses à blâmer dans ce manifeste que le vainqueur adressa à la population, lorsque, après une entrée triomphale, il prit possession de la ville ?


Proclamation du serviteur de Dieu Mohamed-el-Mâhdi, fils de Saïd-Abdulah, à tous les fervens.

« Nous avons nommé pour gouverneur de cette ville notre cher Cheikh-Mondour, fils d’Abd-el-Hakem. Exécutez ses ordres et suivez-le au combat. Celui qui se soumet à lui se soumet à nous,

  1. Les Anglais en Égypte, l’Angleterre et le Mâhdi, par le colonel Hennebert ; Fume, 1884.