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alors aussi que lui vint l’idée d’élever un grand barrage à l’entrée du Delta, à 23 kilomètres du Caire.

Ce grand travail, œuvre de l’ingénieur français Mougel-Bey, presque entièrement exécuté sous le règne de celui qui en eut l’idée, fut un moment abandonné par son successeur, Abbas-Pacha. Ce vice-roi craignit non sans raison que, si le barrage était terminé et mis en état d’effectuer une retenue d’eau capable d’élever de 5 mètres en amont le niveau du plus bas étiage, les terres du Delta ne devinssent un marais saumâtre et malsain, ne produisant plus que des plantes aquatiques et des foyers de fièvres paludéennes.

Aujourd’hui, la consolidation du barrage du Nil est reprise : on veut, en deux ans, être en mesure de faire une retenue des eaux d’au moins 4 mètres. Les ingénieurs des Indes qui sont à la tête de ces travaux réussiront-ils dans leur tâché ? Tout le monde en doute au Caire, car il a déjà été fait des dépenses considérables sans qu’une apparence d’amélioration ait été remarquée. Et s’ils réussissent, sera-ce une bonne chose ? Tout dépend de la façon dont ils opéreront le changement de régime du fleuve. Ce sera la richesse du pays s’il est fait d’une manière intelligente, mais sa ruine s’ils ne se hâtent de connaître mieux les terres d’Egypte qu’ils ne les connaissent aujourd’hui. C’est l’opinion d’un homme fort modeste, mais très compétent, très ancien dans le pays, M. Pierre, le directeur de la Société des eaux du Caire.

Toute la terre d’Egypte étant salée, il arrive, lorsqu’on l’arrose avec de l’eau douce, que la plus grande partie de celle-ci entre dans le sol jusqu’au niveau de la mer ; mais le sel en dissolution ou cristallisé qui se trouve dans le sous-sol forme alors, avec l’eau douce, un bain saumâtre qui s’évapore peu à peu par l’action du soleil et de l’atmosphère presque dépourvue d’humidité. C’est principalement lorsque souffle le vent desséchant du Kamsin que cela se produit. L4eau ainsi évaporée est pure, il est vrai, mais le sel en décomposition dans les couches souterraines se reconstitue en cristaux à la surface de la terre et nuit à la végétation des plantes lorsqu’il ne les détruit pas entièrement.

En ce moment, cette salure du sol est peu apparente près du Ml et des grands canaux parce que le niveau de l’eau est assez bas pour rejoindre le plafond du fleuve, mais ailleurs il n’en est pas du tout ainsi, la végétation est morte et le sel peut se recueillir 0 la main.

Depuis quatre ans, on a essayé de relever de 3 mètres environ le niveau de l’étiage en amont du barrage de Mougel-Bey, tel qu’il était avant que l’on entreprit de le consolider ; mais c’est tardif, car déjà beaucoup de terres sont devenues mauvaises et improductives.