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LE TESTAMENT DU DOCTEUR IRNERIUS.

ville. Il me dit bonsoir, et, tout en marchant, nous nous mîmes à causer en échangeant des mots sans suite.

Sur la lisière verte d’un champ se dressait une croix dont la peinture était presque entièrement effacée par la pluie. Sur une plaque en fer-blanc était représenté en un dessin grossier un homme gisant ensanglanté sur la route. Au-dessus se lisait cette inscription également grossière : « Ici périt Hans Dorn, le 17 juin 1807. »

Nous nous arrêtâmes un instant.

— Est-ce que cet homme est mort par accident ? demandai-je à l’ouvrier.

— Non, me dit-il en faisant passer sa pipe à l’autre coin de la bouche ; on le trouva couché sur le dos, la figure cachée soigneusement sous son mouchoir. Le sang lui coulait des tempes. On ne l’avait jamais vu ivre. Certainement il a été assassiné.

— Et l’on n’a jamais su par qui ?

— Jamais.

Nous continuâmes notre route en silence. Ce fait qu’un meurtre avait pu rester impuni me troublait profondément. Impuni pour toujours ! Cela était-il possible ?

Je me mis à réfléchir, pendant que mes regards spirituels plongeaient dans les profondeurs de la nuit tombante. Je me figurais être à la recherche du malfaiteur autour des étangs solitaires, ou dans les misérables chaumières des paysans, ou bien encore dans les cabarets empestés des villes. Cette sorte d’hallucination m’oppressait la poitrine et tourmentait mes nerfs. Au milieu de mes réflexions, je souhaitais que l’habitation de mon oncle à Worms fût une maison blanche et joyeuse, située dans une des principales rues, très populeuses et pleines de gaîté.

Worms est une ville antique qui semble menacer ruine. L’eau des fontaines se déverse par d’étranges monstres marins très anciens. Au-dessus des portes, on voit souvent des inscriptions dans la pierre. Les toits sont à pignons pointus et les rues très irrégulières.

Dans le crépuscule du soir, je me mis à la recherche de la maison de mon oncle. Je la découvris dans une rue étroite et sombre ; toute petite, elle paraissait comme écrasée entre deux maisons pourtant tout aussi étroites qu’elle. La façade en était grise, toute crevassée. Dans l’embrasure de la fenêtre du rez-de-chaussée poussaient des brindilles d’herbe. Sur le toit se dressait une girouette absolument fantastique.

Je sonnai, et un vieux serviteur, blanc, ramassé, à la mine morose, ouvrit la porte, mais ne me laissa pas entrer avant que j’eusse décliné mon nom. Alors, il se retira dans le vestibule obscur, me