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preuves, en un magnifique tableau, dont l’air de vraisemblance n’est peut-être égalé que par son air d’aisance et de souveraine facilité.

Est-il besoin de dire ce que cette méthode, si du moins nous en avons pu donner quelque idée, a de hardi et d’élégant, d’audacieux et de précis à la fois? Pour de nombreuses raisons, que l’on nous pardonnera de ne pas rechercher, l’exégèse biblique était demeurée jusqu’ici négative; elle s’était contentée de faire valoir des motifs de doute; elle n’avait pas essayé de substituer une vue synthétique nouvelle de l’histoire d’Israël à cette « histoire sainte » qu’elle avait renversée. C’est le pire défaut des philologues, et généralement des érudits. Comme si la recherche n’avait d’autre fin qu’elle-même, ou le plaisir qu’elle leur procure, à eux, et qu’il leur importât, — pour le faire durer davantage, — d’éterniser les problèmes, ce qu’ils ont « déchiré, » si l’on peut ainsi dire, nos érudits n’aiment pas qu’on essaie de le « recoudre, » et quiconque s’y risque, ils l’accusent aussitôt d’introduire le roman dans l’histoire. Rappelez-vous de quelle manière, il y a déjà plus d’un quart de siècle, ils accueillirent la Vie de Jésus, et vous trouverez, en effet, que, parmi les critiques qu’ils en firent, ils ne reprochèrent rien tant à M. Renan que d’avoir voulu substituer à l’ancienne une nouvelle image de la personne de Jésus. Là cependant était la nouveauté, l’originalité du livre, et c’est par là que, faisant révolution dans l’histoire de l’exégèse, il y faisait époque. Aussi M. Renan n’a-t-il eu garde d’être infidèle à lui-même; et la preuve qu’il a eu raison, c’est qu’on louera dans l’Histoire du peuple d’Israël précisément ce que l’on avait critiqué dans la Vie de Jésus : une reconstruction, si je puis ainsi dire, de l’histoire des Beni-Israël faite avec les débris de l’histoire du peuple de Dieu, la synthèse de tout ce que la philologie sémitique a produit de travaux depuis Spinoza jusqu’à M. Renan lui-même, et l’œuvre enfin sans laquelle, n’ayant d’autre intérêt que de servir à faire passer le temps, l’exégèse biblique n’aurait pas de raison d’être. Car il faut bien quelquefois rebâtir; nous avons besoin de classer, d’ordonner nos idées, de ne pas attendre pour cela, comme le demande une certaine école, un temps qui ne viendra jamais, et de ne pas laisser la réalité de l’histoire ou de la vie s’écouler, se dissoudre et se volatiliser dans les opérations mêmes qui n’avaient pour objet que de la fixer.

D’assurer maintenant que cette méthode soit infaillible, M. Renan ne l’oserait pas lui-même, et nous encore bien moins, qui manquons pour cela de la science et de la compétence nécessaires. Ceux qui savent l’hébreu lui refuseront donc, s’il y a lieu, telle ou telle de ses conclusions, et, — puisque c’est une plaisanterie qui ne manque jamais son effet en France, — ils prétendront que c’est lui qui ne