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toujours... La grande vérité de l’unité du monde avec la solidarité de ses parties, méconnue par le polythéisme, est au moins clairement aperçue dans ces récits où toutes les parties de la nature éclosent par l’action de la même pensée et l’effet du même verbe. » On a si souvent opposé, de notre temps, l’infécondité métaphysique ou scientifique du Sémite à l’aptitude originelle et maîtresse de l’Aryen pour les grandes généralisations de la science ou les hautes spéculations de la philosophie, que, sur un point de cette importance, et au lieu de les commenter ou de les paraphraser, j’ai tenu à citer les propres paroles de l’historien d’Israël.

A la vérité, M. Renan le fait remarquer ailleurs, il eût peut-être mieux valu, pour l’avenir même de la science et le progrès général de l’esprit, que ces mythes fussent moins « philosophiques, » plus difficiles à recevoir, moins raisonnables en on certain sens, et que les premiers balbutiemens de la science babylonienne n’eussent point passé, depuis dix-huit cents ans, pour une révélation d’en haut. Très supérieure, dans ses grandes lignes, à celle des Indous ou des Grecs, quoique non pas pour cela plus voisine de la vérité vraie, la cosmogonie de la Bible, après avoir été, « en nettoyant le ciel, » un merveilleux instrument de progrès religieux, est devenue, dans le christianisme, le principal obstacle à l’avancement de la science. « l’esprit sémitique est apparu comme hostile à la science expérimentale et à la recherche des causes mécaniques du monde... La théologie chrétienne, avec sa Bible, a été, depuis le XIVe siècle, le pire ennemi de la science. » On pourrait ajouter qu’elle l’était depuis longtemps. Car, si vous y songez, il n’y a pas de raison pour que les grands docteurs de la scolastique, un Duns Scot ou un Thomas d’Aquin, n’aient pas joué dans l’histoire des idées le rôle que la fortune réservait aux Descartes et aux Bacon. Ou du moins il y en a une, et il n’y en a qu’une : c’est que les solutions des problèmes qu’ils agitaient leur étaient comme imposées par avance, et que les principes de la science, tout ainsi que ses conclusions, étaient donnés par la Bible.

Si j’ai donc pu comparer tout à l’heure le dessein de M. Renan à celui de Bossuet dans son Discours sur l’histoire universelle, je crois qu’après les rapports on en voit maintenant les différences. Elles se réduisent exactement à celles que les progrès des sciences naturelles, ceux de l’érudition et, de la philosophie, ont mises entre le siècle de Bossuet et celui de M. Renan. Sans doute, je ne veux pas dire que, si Bossuet vivait de nos jours, il écrivît cette Histoire du peuple d’Israël, ni que M. Renan, s’il eût vécu du temps de Louis XIV, eût composé pour le Dauphin de France l’Histoire universelle. Mais comptez les deux ou trois changemens profonds qui