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« elle ne s’est raccommodée avec madame votre sœur qu’à ce dessein[1]. » Si Chabot a dit vrai, la longanimité de l’une n’est pas moins surprenante que la fantaisie de l’autre.

Un jour d’été (1643), comme on remettait à Mme de Montbazon deux billets de style équivoque ramassés dans son salon : « C’est la main de Mme de Longueville, s’écria-t-elle aussitôt, et Coligny sort d’ici. » L’anecdote fut promptement colportée ; c’était une calomnie sans vraisemblance. Geneviève de Bourbon était alors irréprochable ; à cette heure même, retirée à la campagne[2], elle souffrait de sa première grossesse. Mais la passion ne raisonne pas, surtout lorsqu’elle se loge dans un cœur violent, à côté d’une intelligence étroite.

Unie à seize ans au vieil Hercule de Rohan, Marie de Bretagne s’était promptement affranchie de toute retenue ; on ne comptait plus ses caprices ; elle ne pardonnait pas à M. de Longueville de l’avoir quittée pour épouser la fille du prince de Condé, ce qui n’empêcha pas le duc de Beaufort d’occuper promptement la place vacante. Les nouveaux amans étaient bien faits pour s’entendre : tous deux avaient peu d’esprit, avec une certaine grossièreté de sentimens qui n’excluait pas la ruse, et qui se reflétait dans le langage de l’homme comme dans les mœurs de la femme. De son grand-père Henri IV, François de Vendôme ne tenait que la vaillance[3]. À la mort de Louis XIII, se croyant assuré de la faveur

  1. Rohan à M. le Duc. A. C.
  2. A la Barre, chez Mme du Vigean, (Nesmond à M. le Duc ; 8 juillet 1643. A. C.)
  3. Pour épargner au lecteur des recherches inutiles et lui donner la clé des conflits et des incidens qui vont se succéder, nous plaçons sous ses yeux le tableau suivant :
    César, duc de Vendôme (1594-1665), fils naturel de Henri IV et de Gabrielle d’Estrées, marié à Françoise, duchesse de Mercœur, arrière-petite-fille d’Antoine, duc de Lorraine. ¬¬¬
    1 Louis, duc de Mercœur, puis de Vendôme, épousa en 1651 Laure Mancini, dont il eut le duc de Vendôme, le vainqueur de Cassano et de Villaviciosa. 2 François, duc de Beaufort (1616-1669), tué dans une sortie au siège de Candie sans avoir été marié. 3 Elisabeth, mariée au duc de Nemours, que son beau-frère Beaufort tua en duel en 1652.

    En 1643, le duc de Vendôme réclamait la surintendance de la navigation, que Richelieu lui avait enlevée dès 1625 pour la réunir à l’amirauté, vacante par la mort de Montmorency (1632). Depuis, le cardinal avait donné le titre et la charge d’amiral à son neveu, le duc de Brézé.
    Beaufort revenait d’Angleterre, où il s’était réfugié pour échapper aux poursuites après la conjuration de Cinq-Mars. Le 2 septembre (1643), il fut mis à Vincennes, d’où il s’évada le 31 mai 1648.