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d’Anguien, passant outre aux injonctions de M. le Prince, et, ce qui est plus étrange, aux instances de M. de Châtillon lui-même[1], ouvrit le château de Saint-Maur à son ami, qui, plus malade de chagrin que souffrant de ses plaies, s’éteignit après avoir langui quelques mois. Le duel et sa cause furent vite oubliés ; Coligny respirait encore que M. de Guise envoyait des complimens à M. le Duc[2], et Mme de Montbazon elle-même ne tarda pas à charger le duc de Rohan d’un message auquel on ne pouvait se méprendre. Marie de Bretagne ne parvint pas à enrôler le duc d’Anguien parmi ses adorateurs, et continua d’inspirer à Beaufort la haine que le mépris de M. le Duc avait rallumée dans son cœur.

Mlle de Neuillant et autres n’eurent pas plus de succès ; on cessa de songer à M. le Duc dans la « chambre des filles. » On le crut occupé de Mlle de Toussy, beauté imposante, dont la haute taille excita l’admiration des ambassadeurs polonais. Un moment compromise par une mère avide, intrigante, Louise de Prie[3] a figuré dans quelques pasquins et vaudevilles. Cet épisode, dont les archives de Condé ont conservé la trace, ne saurait nous arrêter. Ici pas même de roman ; rien que le prologue d’un conte licencieux, un marchandage, une négociation qui n’est délicate d’aucun côté et qu’un intermédiaire peu scrupuleux essaie de terminer à coup d’argent. Il n’arriva pas à ses fins : après quelques imprudences, Mlle de Toussy, qui savait calculer, put s’arrêter à temps ; elle aussi devint duchesse, gouvernante des enfans de France, avec un grand renom de gravité et de vertu.

Il y a loin de cette destinée à celle de Ninon ; c’est à la fin de 1645 que M. le Duc, subitement assidu chez Mlle de Lenclos[4], parut tomber un moment sous le charme de cette créature étrange, dont l’immuable beauté dura presque autant que la vie, toute de

  1. Le père de la victime. Le duel eut lieu le 12 décembre 1643. Maurice de Coligny mourut vers la fin de mai 1644.
  2. 23 mai 1644. A. C.
  3. Louise de Prie, héritière et seconde fille de Louis de Prie, marquis de Toussy, et de Françoise de Saint-Gelais-Lusignan, pouvait avoir vingt ans en 1646, lorsqu’elle attira les regards de Louis de Bourbon. On attribua au désir de lui plaire le soin inaccoutumé que le nouveau prince de Condé prit de ses ajustemens en quittant le deuil de son père. C’est alors (1647) que la négociation conduite par le chevalier de Rivière prit une tournure assez vive. L’affaire languit ensuite, et dès 1649, Mlle de Toussy était fiancée au maréchal de La Motte-Houdancourt, duc de Cardonne. Elle mourut à Versailles en 1709.
  4. De fier et grand rendu civil et doux,
    Ce même duc alloit souper chez vous.
    Comme un héros jamais ne se repose,
    Après souper il faisoit autre chose.

    SAINT-ÉVREMONT.