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sa veine semble tarie, et, si elle se réveille, c’est accidentellement, par le fait d’une occasion qui aurait pu ne pas être, et non par la force de l’inspiration intérieure.

Ces pauvres odes pourtant ne lui furent pas inutiles. C’est à peu près à cette époque qu’il paraît avoir fait la connaissance de Thomson, l’auteur des Saisons. Si Thomson, comme disent ses biographes, l’aima beaucoup, ce ne fut pas par parité de génie, car on ne saurait trouver deux poètes plus dissemblables. Entre l’inspiration large, facile, abondante de Thomson, qui ramasse comme d’un coup de filet rapide tous les détails d’un sujet pour les fondre dans de vastes ensembles sans s’attarder plus qu’il ne faut aux délicatesses de l’expression, et l’inspiration laborieuse, méticuleuse, minutieuse de Collins, il n’y a certes rien de commun ; si donc, non content d’aimer l’homme, Thomson apprécia sérieusement ses poésies, cela fait honneur à la tolérance de son goût. Thomson était alors une manière de favori de Frédéric, prince de Galles, qui, brouillé avec son père, avait, pour lui faire pièce, installé, sur les conseils de l’aimable et quelque peu turbulent Lyttleton, une manière de petite cour à Richmond, où il s’entourait, sans y prendre grand plaisir, il est permis de le croire, de poètes et de gens d’esprit. Prenant occasion de la publication des Odes, l’auteur des Saisons présenta Collins au prince, et notre poète devint ainsi un des habitués de ce Château de l’indolence si bien chanté par son ami, et où l’on veut, avec assez de justesse, qu’il lui ait donné une place[1]. Collins put donc se croire en voie de sortir de la gêne où il languissait depuis trop longtemps ; mais, hélas! L’illusion ne lut que d’un instant. Le prince se brouilla bientôt avec lord Lyttleton, qui, tout occupé qu’il fût alors à pleurer sa Lucie Fortescue dans des élégies sincèrement douloureuses, mais sans le moindre souci de la concision, trouvait encore à employer quelques heures aux intrigues politiques, et le château de l’indolence s’évanouit comme une demeure de fées, en laissant ses hôtes sur la plaine nue. À cette aventure, Collins ne perdait que des espérances, mais là encore se révélait le guignon cruellement taquin qui ne cessait de le poursuivre. La mort de Thomson (1748) suivit de près cette éclipse de la fortune, et Collins célébra sa mémoire dans un chant funèbre d’un tour très particulier, une élégie nuancée d’idylle avec une délicatesse

  1. « Parmi tous les nobles habitués de ce château, il y en avait un particulièrement digne de sérieuse remarque; un air de tendre mélancolie était répandu sur son visage ; il était pensif et non pas triste, absorbé dans ses pensées et non pas sombre. Il bâtissait dix mille glorieux systèmes et son esprit logeait dix mille pensées glorieuses ; mais tout cela fuyait avec les nuages sans laisser de traces. » Le signalement répond avec trop de délicate précision à celui de Collins pour qu’on hésite à identifier avec lui ce mélancolique personnage.