Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/769

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’inspiration, d’hésitant, d’incertain et d’obscur dans l’exécution.

Si son époque a mis obstacle à l’expansion de son génie, elle ne l’a ni altéré ni faussé. Son originalité reste repliée sur elle-même, mais bien entière ; il a su la sauver des contagions de la mode et de l’influence des renommées littéraires du temps. Il a pu goûter les grands talens contemporains sans être entamé par eux. Pas une épithète qui fasse songer à Pope, pas un tour qui rappelle Thomson, dont il a été cependant l’ami. Collins n’imite jamais. Il boit dans son propre verre du vin de son propre enclos, et il importe peu que le verre soit petit et que l’enclos ne soit que de quelques arpens ; on ne pourrait peut-être pas en dire autant de tel autre beau talent qui le jugeait avec une commisération dédaigneuse, Thomas Gray, par exemple. Ce que Collins doit à ses contemporains et à ses devanciers se réduit donc vraiment à rien ou à peu de chose. Après minutieuse enquête, je ne vois à relever chez lui que deux emprunts, et encore n’y en a-t-il qu’un seul de certain. Son ode superbe sur les Passions n’aurait probablement jamais été écrite sans la Fête d’Alexandre de Dryden. C’est la même idée, mais quelle refonte elle a subie ! On peut recommander cet emprunt aux imitateurs comme le meilleur exemple de ce qui peut légitimer cette liberté, toujours de délicate nature. Le second emprunt est plus douteux. L’Ode sur le caractère poétique, où il fait remonter à la source divine l’origine des différentes formes littéraires, est peut-être une transformation de l’allégorie de Spenser qu’elle raconte à son début; nous avons cependant quelque soupçon que Collins a bien pu la puiser dans les Plaisirs de l’imagination d’Akenside, où cette même théorie idéaliste et platonicienne est exposée en toute ampleur. Le poème d’Akenside (1744) a précédé de deux ans les Odes, et il est assez admissible que Collins ait ressenti le charme de l’éloquence élevée avec laquelle cette idée y est présentée, puisque tout homme d’un goût véritable, même médiocrement amateur du poème didactique et de la critique en vers, le ressentira encore aujourd’hui.

De tous les poètes qu’il avait rêvé d’être, il n’y en a qu’un seul qui ait réussi à se manifester, le poète lyrique. Mais c’est un vaste champ que la poésie lyrique, qui comprend des genres nombreux, et là non plus il n’est pas certain pour nous qu’il se soit adressé au genre le plus favorable à son originalité. Essayons de découvrir ce qui constitue foncièrement cette originalité, et alors la poésie de Collins nous sera expliquée à la fois dans ses qualités et dans ses défauts. Nous comprendrons ce qui en a fait le charme durable et ce qui en a peut-être retardé le succès.

Son imagination est essentiellement pastorale; elle l’est tellement qu’elle communique ce caractère à tous les genres où il s’est essayé: