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Le philosophisme classico-tory a remporté sur lui cette victoire d’infecter, pour un temps, de son esprit ses plus vrais enfans. Il faudra pousser jusqu’au dernier tiers du siècle pour voir ce génie se relever et montrer, avec William Cowper, tout ce qu’il contient de grandeur poétique et de fécondité morale.

Malgré l’absence de tout grand courant général, tout n’est cependant pas infécond dans la poésie de cette époque, et on pourrait même avancer sans paradoxe que la stérilité n’est qu’apparente. Réduits de plus en plus aux seules ressources que leur fournit leur propre génie, ces poètes vont cherchant, tâtonnant, et il se trouve à la fois que par leurs tâtonnemens ils ont, sans trop y prendre garde, soit renouvelé les vieux cadres poétiques, soit semé les germes de genres nouveaux, soit marqué les étapes de la marche en avant vers la poésie nouvelle qui éclatera à la fin du siècle. Voici Akenside, par exemple, qui pour écrire son poème les Plaisirs de l’imagination, s’adresse aux vieux cadres du poème didactique; mais il fait mieux encore que les renouveler, car il enfante un sous-genre jusqu’alors inconnu, ce poème psychologique qui va prolonger sa fortune jusqu’à l’époque moderne et dont Campbell et Rogers assureront le succès par leurs Plaisirs de l’espérance et leurs Plaisirs de la mémoire. Shenstone cultive l’élégie comme Hammond et autres l’ont fait; mais, s’il ne renouvelle guère les cadres du genre, il en renouvelle notablement l’âme et la substance, et trouve des accens qui sont comme un prélude à cette poésie intime, purement personnelle, qui prévaudra soixante ans plus tard. John Dyer écrit un poème intitulé la Toison, dont Samuel Johnson, mal inspiré, condamne le sujet comme trop bas pour la poésie; ce n’en est pas moins le premier exemple de ce genre destiné à être cultivé par des talens si divers, tant il se trouvera en harmonie avec les tendances démocratiques modernes, le poème descriptif des humbles réalités, des occupations domestiques, du travail industriel, de la vie servile. Et la preuve que ces poètes sont bien à leur insu des précurseurs, c’est que lorsque la poésie, au commencement de ce siècle, sera renouvelée, leurs successeurs aimeront à se recommander d’eux et même à les saluer comme leurs maîtres, et c’est ce que Wordsworth notamment a fait pour Dyer, et le pauvre Kirke White pour Thomas Warton.

Il en fut de Collins comme de tous ces poètes, à cette notable différence près que le genre de poésie dont on surprend en lui le germe est autrement important et autrement vaste qu’aucun de ceux que nous venons d’indiquer, car ce n’est rien moins que le romantisme même. A cet égard, sa personne vivante en aurait dit plus long que ses œuvres à ses contemporains, s’ils avaient toujours su ou pu le comprendre. Écoutons la description morale qu’a