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Mme la duchesse d’Orléans ne l’empêche pas d’être bien disposée pour l’empereur et l’impératrice. Souvent à Baden, chez Mme la grande-duchesse Stéphanie, et plus tard à Berlin, elle m’a parlé en termes gracieux de Leurs Majestés impériales, et cela dans un temps où Elles ne comptaient guère d’amis à la cour de Prusse.

« Votre Excellence voudra bien excuser la forme décousue de cette lettre écrite à la hâte, entre l’arrivée du comte de Reculot et l’expédition de la valise ; elle me pardonnera également de m’être permis des appréciations prématurées sur la politique du futur roi de Prusse. »


X. — LES ENTRETIENS DU PRINCE GORTCHAKOF ET DE M. DE BISMARCK APRES L’ENTREVUE.

A l’heure même où j’écrivais cette lettre au comte Walewski, M. de Bismarck appréciait l’entrevue, à sa façon, dans un volumineux rapport adressé à sa cour. Il était resté à Baden aux écoutes. Il recueillait les bruits qui de Stuttgart venaient s’y répercuter. Il se donnait beaucoup de mal pour discerner le vrai du faux ; le faux semblait avoir ses préférences. Les versions qui circulent, disait-il, reflètent les opinions et les vœux de ceux qui les répandent. Les Russes affectent l’enchantement ; les Autrichiens, au contraire, et leurs acolytes, prétendent qu’il y aurait eu des froissemens et des deux côtés de sérieux mécomptes : Weimar aurait troublé Stuttgart. L’empereur Alexandre, au lieu d’accepter l’entrevue cordialement, se serait appliqué à en altérer le caractère et la signification, en cherchant à faire croire qu’il était chez lui, en famille, à Stuttgart, et que l’empereur y était venu tout exprès pour le voir. C’est pour bien faire ressortir la nuance qu’il serait arrivé vingt-quatre heures avant lui dans la capitale du Wurtemberg et se serait installé à la villa de Berg, chez son beau-frère ; mais Napoléon III, pour de jouer ce calcul et remettre les choses en état, au lieu de quitter Stuttgart en même temps que le tsar, serait resté chez le roi vingt-quatre heures de plus. M. de Bismarck faisait aussi de déplaisantes allusions au refus de l’impératrice Marie de se rencontrer avec l’impératrice Eugénie ; et, pour donner du piquant à son rapport, il prétendait que la nuée d’agens secrets arrivés à Stuttgart à la suite de M. Hyrvoix, le chef du service de la sûreté, avait produit le plus détestable effet.

M. de Bismarck ne s’inspirait pas des ambassadeurs vénitiens en se faisant l’interprète de ces commérages. Il fut plus intéressant en rapportant les entretiens qu’il eut, quelques jours après, avec le prince Gortchakof, à son arrivée à Baden : « Le prince, écrivait-il ironiquement, — car il savait qu’il exagérait volontiers