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et qui est toujours à disputer sans raison. » Il ose encore moins garder dans sa mémoire le passage du Coran où il est dit : « Les hommes sont supérieurs aux femmes à cause des qualités par lesquelles Dieu a élevé ceux-là au-dessus de celles-ci... Les femmes vertueuses sont obéissantes et soumises... Vous réprimanderez celles dont vous aurez à craindre la désobéissance;.. vous les battrez. » L’ancien esclave est serviteur avant d’être époux. Ses sentimens de dévotion rayonnent autour de lui, et la fille de roi reste fille de roi sous la tente d’un affranchi. C’est un roman, direz-vous. Assurément. Quelle jeune fille n’a le sien? Le roman de la jeune Arabe est naïf et simple. La fille de prince rêve d’un mari qui la saluera poliment et ne lui donnera pas de coups de bâton.

Il est aisé d’imaginer les peines amères d’une pauvre kibibi[1], qui ignorait tout de l’Europe, en se réveillant un beau matin bourgeoise allemande. Nous la plaignons de toute notre âme. Nous ne saurions aller plus loin et nous représenter une bourgeoise allemande, anglaise ou française, heureuse du bonheur des kibibi et jouant avec contentement le rôle d’ingénue des Mille et une Nuits. La princesse Salmé consacre tout un chapitre à nous démontrer que le sort de ses sœurs d’Orient est aussi digne et plus enviable que celui de l’Européenne, soumise au travail servile et durement préoccupée. En lisant ce plaidoyer, je songeais à un groupe aperçu au cours d’un voyage. C’était un soir d’automne, sur une route d’Anatolie. Devant nous marchait un couple très inégal de taille et divers d’aspect. A gauche, un cavalier à la barbe grisonnante, monté sur un cheval léger couvert de chaînettes d’argent. L’homme avait une culotte flottante de couleur sombre, beaucoup d’armes à la ceinture, le haut du corps noyé dans un manteau de fine laine blanche qui encapuchonnait son turban. Grandi par sa haute selle à dossier, il avait des contours d’une élégance exquise et hautaine. Sa personne exhalait l’habitude paisible du commandement.

A sa droite trottait menu un tout petit âne harnaché d’un mauvais bât et d’un licou de corde. Une femme empaquetée dans une ample cotonnade bleue était à califourchon sur le bât. Son corps rondelet et affaissé ballottait doucement sur sa monture, et l’on avait l’impression de quelque chose de très humble, qui ne comptait pas.

Il y avait un contraste risible entre ces deux silhouettes, et lorsqu’elles disparurent à un détour du chemin, l’un de nous dit : « Le résumé de la question de la femme en Orient. » Les argumens

  1. Petite altesse, petite bibi.