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sa couleur : vert émeraude sur cerise, azur sur jaune, rose sur orange, or sur pourpre, argent sur violet. Cette chemise se taille dans des étoffes coûteuses et éclatantes : brocards d’or et d’argent, satins brochés et damassés, à ramages et à fleurs multicolores, velours pesans de Lyon, soies molles de la Chine. En été, les chaleurs accablantes des tropiques font préférer aux soieries les toiles peintes, les cotonnades bigarrées, les mousselines de l’Inde. Quel qu’en soit le tissu, la chemise se brode et rebrode, se passemente, se galonné, se chamarre, se garnit de dentelles, de petits glands, de petites houppes en fil d’or et d’argent, de pompons de soie, de boutons de métal, de pendeloques d’orfèvrerie, de verroteries, enfin de cent petits ornemens qui tremblotent, dansent et chatoient à chaque mouvement. Plusieurs rangs de colliers s’étagent sur la poitrine. Les bras sont chargés de bracelets jusqu’au coude ; les mains portent des bagues énormes. La tête est entourée de mouchoirs de soie bariolés, qui cachent le front jusqu’aux sourcils et s’enchevêtrent d’énormes pompons, de lourdes franges encadrant le visage, de longs rubans flottant dans le dos et auxquels sont cousus des pièces de monnaie ou des plaques d’or ornées de pierres précieuses.

La princesse Salmé a placé sa photographie en tête de ses Mémoires. Elle avait choisi pour poser une toilette relativement simple. Sa petite figure brune est néanmoins écrasée par cet attirail. On distingue deux yeux noirs très perçans, une grande bouche au pli mélancolique et deux petits pieds nus, potelés et charmans. Le reste est comme enseveli sous cet amas d’ornemens.

Il n’était rien moins que facile de se procurer ces costumes somptueux. En ce temps-là, il y avait peu de magasins à Zanzibar et nulle industrie. Les esclaves cousaient et enjolivaient les vêtemens. Quelques-unes de leurs maîtresses ne dédaignaient pas de travailler avec elles aux broderies et aux dentelles. Des artisans hindous établis dans l’île fabriquaient une partie de l’orfèvrerie. Le reste des bijoux et tous les matériaux du costume étaient apportés du dehors, et de très loin. A Sejjid-Saïd revenait le soin laborieux de pourvoir d’objets de toilette les harems de la famille : les siens d’abord, avec leurs enfans et leurs esclaves ; ceux des fils, petits-fils et arrière-petits-fils, des gendres, petits-gendres et arrière-petits-gendres établis à Zanzibar, avec leurs enfans et leurs esclaves. Il envoyait aussi des présens aux familles de ses nombreux descendans mariés dans l’Oman et à la foule des parens pauvres de l’Arabie. Soit plusieurs centaines de femmes à contenter, et quelles femmes ! sans autre occupation au monde que leur toilette. La question des pommades prenait l’importance d’une affaire d’état, car les