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Une dame arabe a des esclaves qui travaillent pour elle et à qui elle fait donner des coups de bâton lorsqu’ils fainéantent. Elle-même regarde par la fenêtre en échangeant des réflexions acérées avec ses amies, et elle n’appelle point cela « être à rien faire, » pas plus que la reine Éléonore de Guyenne ou la belle Laure de Noves ne s’imaginaient « être à rien faire » quand elles présidaient leurs cours d’amour. L’activité laborieuse d’un bourgeois de Brème est chose estimable, mais chose qui ne convient ni à tous les sangs, ni à toutes les âmes. Dieu a créé l’Européen avide de lucre, et le nègre pour que l’Arabe puisse dormir à l’ombre quand il ne va pas à la guerre.

Les mères prudentes craignaient les fenêtres du harem et dissuadaient leurs filles d’y paraître. Elles savaient que peu d’époux musulmans supportent un semblable relâchement avec l’indulgence sereine que l’âge avait donnée au sage Sejjid-Saïd. Elles-mêmes les évitaient et s’occupaient à se visiter d’une chambre à l’autre, ou à broder. Les savantes du palais lisaient des romans. Il aurait été infiniment intéressant de savoir quels romans, de quel temps et de quels pays, et ce que les altesses de Zanzibar y comprenaient. Les Mémoires sont muets sur tous ces points.

Vers une heure, chacun se retirait pour passer la grosse chaleur dans un frais repos. Le harem se couchait et coulait un temps exquis à grignoter des gâteaux et des fruits, à bavarder et à dormir. Au réveil, il se mettait en grande toilette, et les kibibi allaient dîner avec le sultan. Elles écoutaient le grand orgue de Barbarie, et des plaisirs plus vifs commençaient avec la nuit. Il arrivait de nombreuses visiteuses. On babillait, on jouait aux cartes, on mangeait des friandises, on entendait de la musique nègre, enfin c’était à peu près comme nos soirées, sauf qu’on ne parlait jamais de la pluie et du beau temps ; la princesse Salmé déclare qu’elle ignorait ce sujet de conversation avant de venir en Europe, et elle nous raille agréablement de la place qu’il tient dans nos réunions mondaines. Quiconque ne recevait pas sortait. Les sarari et les altesses s’en allaient en visite, accompagnées de cortèges resplendissans.

D’abord, les esclaves porteurs de lanternes. On reconnaissait les personnes de qualité au nombre et aux dimensions de leurs lanternes. Les plus grandes mesuraient deux mètres de tour et comptaient cinq coupoles, « dans le style d’une église russe, » garnies de verres de couleur. Une grande dame en avait six, portées au bout de longs bâtons par six hommes choisis pour leur force. Venaient ensuite, deux à deux, vingt esclaves richement vêtus, couverts d’armes incrustées d’or et d’argent. Ils écartaient les passans, que le savoir-vivre