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lévulose. Il peut arriver qu’on ait besoin, soit d’augmenter artificiellement le titre alcoolique et de rendre un vin plus « sec, » soit de forcer la proportion de sucre, afin de réaliser du vin doux. Grâce à un phénomène de réciprocité assez curieux pour valoir la peine d’être noté en passant, lorsque le producteur ou le fabricant de vins d’imitation n’ajoute pas directement l’alcool supplémentaire, il a recours au sucre, qui fermente et engendre de l’alcool qui s’ajoute à celui formé par le jus de la grappe, et, d’autre part, une addition d’alcool faite à propos intervient souvent pour assurer le « mutage » et créer les vins doux du Languedoc, de Roussillon ou d’Espagne. La coïncidence qui vient d’être signalée n’est nullement fortuite; le changement du sucre en alcool constitue une réaction, non pas réversible, comme celle qui fournit les éthers, mais de même genre, c’est-à-dire limitée. Par ce terme, nous voulons exprimer que l’influence du produit qui se forme, grâce à l’évolution, l’entrave progressivement, la ralentit et finalement l’arrête avant qu’elle ne soit complète.

L’opération qu’on nomme « vinage » consiste, comme l’on sait, à mêler un peu d’alcool à un vin que sa médiocre teneur en esprit rend trop faible ou d’une conservation difficile. Réalisée dans certaines conditions dont nous parlerons dans le prochain paragraphe, elle doit être qualifiée de véritable fraude ; au contraire, modérément pratiqué et limité aux seules circonstances où il devient absolument nécessaire, le vinage ne peut qu’être utile et permis. Du reste, nous négligeons en ce moment, et continuerons à négliger plus tard, le côté économique du sujet pour rester uniquement dans le domaine de la chimie.

Quand le « bouilleur de cru » brûle une partie de sa récolte pour la transformer en eau-de-vie qu’il ajoute ensuite au restant de son vin, il obtient une boisson évidemment suralcoolisée artificiellement, mais non malsaine. D’abord le liquide ainsi traité ne reçoit que de la pure eau-de-vie de vin, ce qui est le point essentiel ; ensuite il est fort possible que l’assimilation de ce supplément, dérivé d’un vin de même nature et de même constitution chimique, soit plus prompte et plus complète que si l’on avait incorporé du trois-six étranger. D’autre part, les critiques les plus minutieux seraient en droit de faire observer, non sans apparence de raison, que ce mélange mystérieux et intime, cette coordination des principes de natures diverses, peut spontanément s’opérer dans le vin naturel, et, au contraire, ne pas se produire sur-le-champ dans le cas que

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  1. L’expert, avant d’analyser un vin commun, commence toujours par le filtrer; tous les corps non dissous sont éliminés, et par suite ne se retrouvent jamais dans l’extrait.