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guère de valeur après avoir payé l’impôt. Il est clair que, dans les deux derniers cas énumérés, le marchand n’a aucun intérêt à forcer le titre alcoolique : il risquerait fort, en échange d’un petit bénéfice, de déprécier sa marchandise en la transformant.

Une fois que le vin destiné à abreuver le peuple de Paris a franchi le mur d’enceinte, sa valeur intrinsèque, accrue des frais de courtage, de transport, de régie, d’octroi, grevée encore des frais de vinage, devient considérable. Mais ce n’est pas tout : il faut tenir compte des trop nombreux intermédiaires, vendeurs en demi-gros, commissionnaires, placeurs, qui relient les deux termes extrêmes de la chaîne: le négociant plusieurs fois millionnaire, dont les achats en France ou à l’étranger se chiffrent par centaines et milliers d’hectolitres, et l’humble débitant de Charonne ou de Belleville, qui vend des canons sur le comptoir.

Il en résulte que le prix du vin, calculé sur l’hectolitre d’après les bases que nous venons de poser, puis ramené au taux par titre au moyen d’un simple déplacement de virgule, est déjà sensiblement supérieur au tarif ordinaire de vente au détail, même si l’on ne tient pas compte du petit bénéfice légitime que le cabaretier a le droit de réaliser aux dépens de ses cliens. Les intermédiaires qui, achetant assez cher, tiennent à vendre bon marché, s’efforcent de se dédommager en mouillant le vin. Prenant en considération la rigueur des lois fiscales, plusieurs chimistes, et notamment le laboratoire municipal de Paris, ferment les yeux sur cette pratique et la tolèrent dans une très faible mesure sans l’approuver. Comme les liquides qui pénètrent dans l’enceinte de Paris se trouvent toujours suralcoolisés, les mêmes experts, lorsqu’ils s’aperçoivent qu’un vin destiné à être vendu au détail pèse moins de 10 degrés, décident avec raison que ce vin a été trempé par trop libéralement et concluent à la fraude. Seulement, le principe sur lequel ils s’appuient n’est emprunté ni à la science théorique, ni à la chimie expérimentale, et ne dérive que d’une routine favorisée par des règlemens trop absolus.

D’après ce que nous venons de dire, il est assez fréquent qu’un liquide suspect ait été à la fois viné et mouillé[1], et cette fraude complexe, loin de rendre la tâche de l’expert plus délicate, la facilite grandement. Alors, par exemple, l’extrait, doublement affaibli par l’introduction de l’alcool, puis par celle de l’eau, diminue dans

  1. Beaucoup plus rarement le mouillage précède le vinage. Cette circonstance peut néanmoins se présenter lorsqu’un vin naturellement très spiritueux et très chargé en couleur a été trop généreusement baptisé après son entrée en ville; en le remonte alors avec de l’alcool. Quoique sensible, la perte d’acidité est alors moins forte que dans le cas général.