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un lambeau de Normandie que d’enlever aux Anglais un poste avancé dans les eaux françaises.

Si nous écrivions l’histoire des îles, nous aurions à raconter toute une série de combats sur mer et sur terre, d’expéditions et de coups de main. Déjà, avant le traité de Brétigny, des expéditions avaient eu lieu avec des chances diverses. Ensuite, ce sont d’abord Yvain de Galles en 1372 et, s’il faut en croire une légende, Duguesclin en 1374 ; puis, au commencement du XVe siècle, le Breton Penhoët et l’Espagnol Pero-Nino. En 1461, Pierre de Brézé, envoyé par Louis XI, s’empare de Jersey, qui reste huit ans au roi de France. Sous notre roi Henri II, Du Bruel, parti de Saint-Malo, s’établit dans l’île de Serk, s’y fortifia, et de là il inquiétait et dévastait Jersey et Guernesey, quand cette petite île fut reprise sur lui par trahison. Le XVIIIe siècle ne vit qu’une seule tentative, celle de Rullecourt, en 1781. Rullecourt avait trop peu d’hommes pour être sûr du succès ; son audace faillit pourtant être heureuse. La milice de Jersey combattit vaillamment avec les troupes anglaises pour repousser cette attaque.

Les sentimens de nationalité qui déterminent aujourd’hui de si violens mouvemens d’opinion n’existaient pas alors. Du reste, les insulaires étaient séparés depuis longtemps de la Normandie continentale ; leur destinée s’était greffée sur celle de l’Angleterre ; ils avaient souffert de la guerre que leur faisait la France, quand des troupes françaises étaient descendues chez eux et avaient ravagé leurs îles; et ils avaient fini par trouver leur intérêt à être Anglais. La course en temps de guerre et la contrebande en temps de paix étaient devenues deux sources de richesse pour les habitans des îles normandes. Carnot et Bonaparte firent des projets d’expédition dans l’archipel, mais ce ne furent que des projets, car la mer appartenait à l’Angleterre.

L’Angleterre devait, au XIXe siècle, se retrouver maîtresse incontestée des îles, et son ascendant politique et moral s’est accru par les facilités de communication de la navigation à vapeur. Les îles se sont rapprochées de l’Angleterre et les relations sont devenues plus intimes ; de nombreux Anglais se sont établis dans les îles ; la langue anglaise s’est implantée dans l’archipel, comme langue de l’empire, langue de la haute société et langue du commerce extra-insulaire. L’union morale et intellectuelle est venue affermir l’union politique. Le gouvernement anglais n’a rien négligé, ni soins ni argent, pour augmenter la défense de l’île ; il essaya même de faire de l’archipel un second Gibraltar en construisant un grand port militaire à Auregny. Les travaux de la digue projetée absorbèrent millions sur millions ; il fallut pourtant y renoncer, car la fureur