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accusant une légère diminution sur le recensement de 1871 ; dans chacune des deux grandes îles, la capitale forme la moitié (ou davantage) de la population totale[1].

Malgré l’unité de leur origine et de leur histoire, les îles n’ont pas, à proprement parler, d’unité politique: elles sont partagées en deux bailliages, celui de Jersey (avec les rochers à peine habités des îles Chausey) et celui de Guernesey, avec Auregny et Serk ; Herm et Jethou sont considérés comme faisant partie de Guernesey. Chacun de ces bailliages a ses états et sa « cour royale. » Auregny et Serk, qui ressortissent aujourd’hui à la cour royale de Guernesey, avaient même antérieurement chacune une cour de justice spéciale. L’archipel n’a même pas l’unité des mesures ni des monnaies. Jersey a la monnaie anglaise, qui seule a cours légal ; Guernesey a la monnaie française. Le chelin (c’est ainsi qu’on écrit le mot anglais shelling) n’a pas exactement la même valeur dans les deux îles. Toutes deux font frapper en Angleterre de la monnaie de cuivre à leurs armes.

D’après une légende historique fort en vogue encore, quoiqu’elle soit contraire aux documens, ce serait le roi Jean-sans-Terre qui, après la séparation de ces îles d’avec la Normandie continentale, leur aurait donné les institutions qui furent séculaires et qui, avec quelques modifications, subsistent encore. Ces institutions seraient définies dans une charte en dix-huit articles, en latin, qu’on appelait les « constitutions du roi Jean. » Ce texte est simplement une compilation fabriquée au XVIIe siècle. « Si Jean, dit un historien français, est le créateur des institutions des îles, ce qui est possible et même probable, il faut reconnaître qu’il ne nous est resté aucun acte écrit de cette création. Il semble qu’il n’en ait laissé aucun ; en effet, quand les rois d’Angleterre, au XIIIe et au XIVe siècle, voulurent connaître les coutumes et les institutions des îles, « les lois que le roi Jean y avait établies, » ils eurent recours au témoignage oral des habitans, à la voie des enquêtes[2]. » Nous n’avons pas ici à faire l’histoire des institutions politiques et civiles des îles; il nous suffit de dire ce qu’elles sont aujourd’hui.

Chaque bailliage forme une sorte de république sous le protectorat de l’Angleterre, et les lois votées par le parlement de Londres ne sont applicables aux îles que lorsque celles-ci sont nommées dans la loi même. Encore cette loi doit-elle être envoyée aux états des îles pour être enregistrée, et ceux-ci ont le droit de présenter

  1. Nous aurions voulu dire comment ce chiffre général se partage entre les habitans nés dans les îles, les sujets britanniques nés ailleurs, la garnison et les étrangers; mais nous n’avons nulle part trouvé ces détails.
  2. Les Cours royales des îles normandes, par Julien Hayet. Paris, 1878, p. 6.