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ont raconté les mésaventures d’une pétition adressée aux états de Jersey par plusieurs armateurs pour une affaire relative au port de Saint-Hélier. La pétition était rédigée en anglais. Un débat s’engagea sur la question de savoir si cette pétition devait être admise. Plusieurs membres firent valoir qu’aucune loi ne consacre le français comme seule langue dont on doive se servir dans les actes de la vie publique; néanmoins, la tradition l’emporta, et l’assemblée décida que la pétition en langue anglaise ne serait pas admise.

Nous fûmes témoin d’une discussion analogue à la séance des états de Jersey, à laquelle le hasard du voyage nous permit d’assister le 24 août 1887. Si court que lût ce spectacle, il nous en apprit beaucoup sur la vie politique de l’île; l’esquisse n’en sera peut-être pas hors de propos.

Le bulletin de convocation a été envoyé aux membres des états en français ; les documens imprimés qui les attendent à leurs places sont publiés en français. La séance est présidée par le bailli, devant qui l’huissier pose la masse. On fait l’appel des membres, et chacun, à son nom, répond : Présent. On constate l’absence de ceux qui « font défaut. » Le bailli récite une prière (en français), terminée par le Notre Père, etc.; et il dit : « Les états sont maintenant constitués. » L’avocat-général lit en anglais une lettre du secrétaire d’état (de Londres) ; cette lettre est une réponse à l’adresse des états de Jersey à la reine à l’occasion de son jubilé. Il est décidé que cette lettre sera « logée au greffe, » c’est-à-dire déposée aux archives. L’avocat-général donne lecture d’une autre lettre, encore en anglais, émanant du conseil privé de la reine.

Il s’agit de la vente projetée d’une propriété de la couronne, de la garenne de Gorey, c’est-à-dire des alentours immédiats du château historique de Montorgueil. Les états avaient adressé une pétition à la reine pour protester contre ce projet, et le conseil privé leur répond que cette pétition ne peut être prise en considération, et il affirme le droit de la trésorerie de vendre ou d’aliéner les propriétés de la couronne dans l’île. Cette question n’est pas une pure question de prérogative ni de sentiment, car les officiers de la couronne (fonctionnaires) et plusieurs recteurs tirent une partie de leurs revenus des propriétés que la couronne a dans l’île.

Cette lettre donne lieu à une discussion. Chaque membre de l’assemblée par le de sa place (il n’y a pas de tribune) et en français; il s’adresse non à l’assemblée, mais à « monsieur le président. » Un premier fait remarquer qu’il s’agit de l’ancien patrimoine de sa majesté comme duchesse de Normandie; un second demande pourquoi sa majesté vend sa propriété quand rien ne la force, qu’elle n’a pas d’enfans à doter. « j’avoue, conclut-il, que