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cela me parait un moyen pitoyable. » Mais un troisième soutient que la couronne a le droit de vendre. Finalement, la lettre du conseil privé est « logée au greffe et référée au comité. »

Le vicomte lit un document anglais émanant du conseil d’administration de la prison et demandant le renouvellement d’une subvention. M. Baudains, connétable de Saint-Hélier, demande s’il y a une traduction française. Le révérend Luce, recteur de Sainte-Marie, propose que l’acte soit d’abord lu en français avant d’être « logé au greffe, » et sa proposition est appuyée par le recteur de Grouville. « Mais, dit un autre membre, la loi de 1771 ne spécifie pas dans quelle langue ces propositions doivent être faites. » Le bailli fait remarquer que la langue des documens de l’administratration des prisons est l’anglais, et que cela est rendu nécessaire par l’envoi trimestriel des rapports au secrétaire d’état à Londres. Un membre ajoute que depuis quarante ans les documens de la prison sont rédigés en anglais. On vote sur la question de savoir si le document sera u logé au greffe ; » la grande majorité est pour l’affirmative; et, à la contre-épreuve, les deux recteurs de Sainte-Marie et de Grouville se lèvent seuls. Ce vote est un peu une inconséquence; car, si le document contesté eût été une pétition émanant d’habitans de l’île, il eût été rejeté comme rédigé en anglais. L’anglais n’est admis que dans les documens ayant un caractère impérial (au sens où nos voisins prennent ce mot) et exprimant des rapports avec le pouvoir central.

Le reste de la séance fut consacré à la présentation et à la discussion d’un projet de loi sur la police des incendies. Ce projet une fois « logé au greffe, » comme le reste, « les états sont levés, » dit M. le bailli. Les orateurs que nous avions entendus avaient tous parlé un français excellent, en hommes dont notre langue est la langue maternelle; mais bien peu, dans l’assemblée, avaient pris la parole, et nous ne pouvons naturellement deviner quelle teinte et quel accent aurait eus l’éloquence de ses membres discrets. Le procureur-général et l’avocat-général sont des Anglais, de sorte qu’on ne peut critiquer leur accent britannique ; et, quant au bailli, c’est peut-être parce qu’il représente sa majesté qu’il doit avoir un peu de cet accent en parlant français. Les lois et règlemens sont publiés en français. Pourtant, dans ces dernières années, plusieurs règlemens ont été publiés dans les deux langues ; mais l’anglais est donné comme traduction, avec cette mention : the French is the text of the law, « le français est le texte de la loi. »

Dans l’administration de la justice, le hasard des causes amène indifféremment des parties ou des témoins ne parlant qu’une des deux langues du pays. Nous allons à une séance de la cour royale, qui avait lieu justement trois jours après celle des états. Entré dès