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il est incapable de descendre au burlesque tout à fait insipide de certains passages que l’interpolateur y a glissés, en ajoutant à ses autres inventions l’idée tout à fait étrange de renier jusqu’au genre de peinture dont relève le livre qu’il publie en le défigurant : en effet, Du Fait lui-même déclarait, dans sa préface et dans son premier chapitre, qu’il prenait pour unique sujet de son œuvre les mœurs et les affaires des rustiques, tandis que l’écrivain qui se pique de compléter et de perfectionner son livre affiche le plus complet dédain pour les « contes de la charrue, » et proteste qu’il va les laisser là pour « parler de choses plus grandes et hautes. » Ces choses grandes et hautes sont les bons tours et souveraines sciences « qu’apprenaient les estudians en la diversité de Sirap, » c’est-à-dire en l’Université de Paris. En résumé, ces contrefaçons, surchargées d’ajoutés plus étonnans les uns que les autres, ne font qu’attester le succès du livre qu’il s’agissait, pour ces faussaires et pour les libraires qui recouraient à eux, d’exploiter à leur profit.

Un succès presque égal échut aux autres livres de Du Fail. Nous sommes d’autant plus tenu de les nommer que nous comptons en tirer parti pour le même genre d’information dans une certaine mesure. Il y a, en effet, lieu de remarquer que les Baliverneries, publiées en 1548, sont également une chronique du village. Le livre a pour titre aussi : Contes d’Eutrapel, sans qu’il se confonde avec les Discours d’Eutrapel, qui parurent beaucoup plus tard, quoiqu’ils aient été aussi écrits dans les jeunes années. Du Fail était entré dans des fonctions qui ne lui permettaient guère de publier ce livre où il se donne des libertés de plus d’un genre. Il était devenu un personnage grave, conseiller au présidial de Rennes, en 1553, et conseiller au parlement de la même ville en 1571. Quoique la pruderie ne fût guère de mise en ce moment-là, et qu’on tolérât bien des licences même chez un homme en place, la mesure pouvait paraître dépassée dans quelques passages où la décence est trop bravée dans les mots. Aux facétieux entretiens se mêlaient d’ailleurs des dissertations morales, des aperçus politiques, des allusions malignes. Toutes proportions gardées, c’étaient ses Lettres persanes à lui. Il les conserva vingt ans au moins en portefeuille, et ne les publia qu’au moment de prendre sa retraite ; encore s’en excuse-t-il dans sa préface, à vrai dire d’un ton assez cavalier, alléguant que son humeur était folâtre, que le naturel revient toujours, qu’il aimait à faire des contes, comme d’autres « empeschés aux affaires publiques » se réservent quelques heures pour jouer du luth ou de la viole, ou pour composer des épigrammes. L’ouvrage n’eut pas moins de succès qu’en avaient eu autrefois les Propos rustiques. Les éditions se succèdent sous les yeux de l’auteur en 1585, 1586 et 1588. Du Fail meurt en 1591 :