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esprit, à ouvrir son intelligence ; il y acquit plus de largeur qu’on n’en trouvait en général dans la magistrature de province, et se distingua toujours par son éloignement pour les coteries et par son dégoût pour les subtilités de la chicane.

Nous ne le suivrons pas dans les diverses phases de sa carrière de magistrat. Outre qu’il ne serait pas toujours facile de le faire, on n’y trouverait peut-être pas un très grand intérêt. Des recherches et des jugemens de M. de La Borderie, nous ne retiendrons que les principales conclusions qui s’en dégagent. Du Fail eut des qualités réelles et des défauts qui, sans être des plus graves, sont peut-être ceux qui se pardonnent le moins facilement. Il avait l’esprit caustique et peut-être un peu hautain. Il semble avoir peu ménagé l’amour-propre des autres. Comme magistrat, ses grandes qualités d’intégrité et de science ne suffisaient pas pour lui faire pardonner ses négligences dans l’accomplissement de ses fonctions quotidiennes. Ces irrégularités, ces inexactitudes sont jugées sévèrement par les corps constitués. Quand il s’y joint un esprit distingué et un caractère un peu fier, on a bien vite fait de les imputer à dédain. On ne s’étonnera pas qu’en conséquence, tout en ayant l’estime de tous et quelques bons amis. Du Fail se soit attiré des inimitiés qu’expliquent encore ses attaques à des corps entiers, sa critique du bavardage des avocats et des calculs intéressés des gens de loi. Enfin, outre ses prétentions nobiliaires qui devaient déplaire, ses idées mêmes sur les privilèges de la noblesse n’étaient pas faites pour être bien accueillies dans le corps de la magistrature, puisqu’elles allaient jusqu’à exclure les non-nobles des hautes fonctions judiciaires. Il déclare que « les grandes charges publiques se doivent bailler aux gentilshommes privativement à tous les autres, » et prononce dédaigneusement que de « cinquante juges on n’en rencontrerait pas un qui soit vraiment noble. » C’est tout cet ensemble de griefs qui explique qu’il y ait eu des protestations quand le roi lui accorda des lettres d’honorariat au moment où il résignait ses fonctions.

On trouve l’expression de ses théories sur la noblesse dans presque tous ses écrits, et notamment dans son recueil d’Arrêts, où elles semblaient acquérir plus de poids et d’autorité. Disons-le d’abord: ce recueil est une œuvre considérable. Elle atteste que, si Du Fail était coupable de quelque négligence et abusa peut-être quelque peu de sa goutte comme d’un prétexte, il fut extrêmement laborieux dans son cabinet. Ce savant recueil a été souvent consulté jusqu’à la révolution. L’auteur y mêle au texte des arrêts des appréciations personnelles, des dissertations parfois intéressantes, sans parler d’un discours en vers sur les vices du temps, qu’il s’est laissé aller à y glisser. Dans ces commentaires, il ne se