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doute à l’opinion personnelle de Du Fail. Huguet, le maître d’école, ne parle guère autrement, que le notaire. Il reconnaît que les tables se sont enrichies de nouveaux mets ou assaisonnemens. Il nomme le poivre, le safran, le gingembre, la cannelle, la muscade, la girofle. Ces alimens peu substantiels, qu’il qualifie de « resveries, » lui semblent moins faits pour nourrir le corps que pour le corrompre ; il déplore de voir transférer des villes en nos villages ces condimens sans lesquels un banquet du jour paraît sans goût et mal ordonné. Il regrette aussi ces banquets rustiques où plusieurs paysans apportaient leurs vivres chez l’un d’eux pour se récréer, et, tout en buvant. « jaser librement du faict d’agriculture et à qui mieux mieux, » À ce banquet on voyait figurer le curé, ce curé du bon vieux temps, messire Jean, dont Huguet trace le portrait. « estant au hault bout de la table (car à tous seigneurs tous honneurs), haulsant les orrées de sa robbe, tenant un peu sa gravité, interprétant ou l’évangile du jour, ou bien conférant avec la plus ancienne matronne, près luy assise, ayant son chapperon rebrassé, et volontiers parloyent de quelques herbes pour la fièvre, cholique, ou la marriz. » Ce curé est lui-même resté paysan, comme il y en avait beaucoup, malgré son latin, « quoi qu’il y fût un peu rouillé. » Bien qu’il se vante de ne craindre personne « pour chanter du contrepoinct ou bien et rustrement faire un prosne, » il n’est pas moins habile à « bien empenner une flesche ou mettre une arbaleste en chorde. » Il faut avouer d’ailleurs que tout ce qui se disait à ces banquets rustiques n’était pas toujours aussi édifiant, Messire Jean devait avoir les oreilles à l’épreuve ; on ne les ménageait guère. Tel raconte ses bonnes fortunes villageoises devant là, sans trop prendre garde aux termes. Mais on ne se bornait pas à « se ruer en cuisine. » Après le dîner, tel tirait « de dessous sa robbe » un rebec, un chalumeau et un haut-bois, et bientôt la danse de commencer, entraînant parfois jusqu’au bon curé, qu’il fallait bien un peu prier. Jusque-là rien ne semble fait pour trop inquiéter ceux qui aiment à se figurer un prêtre campagnard des vieux temps sous des traits plus sévères. Mais cela se gâte un peu vers la fin. Le digne homme ressemble décidément d’un peu trop près au bon curé de Béranger, quand « il n’y en a plus que pour lui, » et que « frais, possible et amoureux, il contourne ses commères, disant, ce vénérable curé : Boute, boute, jamais ne nous esbattrons plus jeunes, prenons le temps comme il vient, maudit soit-il qui se feindra ! » Est-ce là une peinture prise sur le vif ou une simple évocation rabelaisienne ?

On peut admirer au milieu de ces quolibets, quelle place tient la morale sensée, pratique, faite de sagesse chrétienne et de prudence humaine. Après ces repas, les convives vont s’ébattre