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ne saurait s’opérer sans des commotions violentes. » Cependant il ne pense pas qu’il faille coopérer à son renversement. Il se tient pour ainsi dire en dehors du mouvement. Sans doute il n’y a plus de royauté chrétienne ; mais on n’en doit pas moins au pouvoir une véritable soumission, comme maintenant encore un ordre partiel dans la société. « Mais quand le désordre, atteignant l’essence même du pouvoir, a envahi l’état entier, une autre loi se développe, loi de destruction indispensable pour préparer le renouvellement futur. On a voulu l’erreur, on a voulu le mal ; et le mal et l’erreur agissent selon leur nature. En renversant violemment, on dissolvait peu à peu ce qui forme un obstacle à l’action réparatrice du principe vital. C’est la tempête qui purifie l’air, c’est la fièvre qui sauve le malade en expulsant ce qu’il y a de vicié dans son organisation. Il est donc conforme aux lois de la Providence que les fausses doctrines qui égarent les peuples continuent de prédominer jusqu’à ce qu’elles aient accompli, au degré nécessaire que Dieu connaît, la destruction qui doit précéder l’œuvre de la régénération sociale. »

On voit manifestement, par ces textes de 1828-1829, que Lamennais, dès cette époque, se détachait des doctrines autoritaires et royalistes pour se rallier de plus en plus aux doctrines libérales et démocratiques, qu’il s’éloignait des princes pour se tourner vers les peuples. Ces doctrines nouvelles se manifestent d’une manière bien plus claire encore dans sa Correspondance, où il peut s’exprimer avec plus de liberté. Déjà, en 1827, il abandonnait complètement la cause de l’ancien régime et il rêvait un état complètement nouveau : « Jamais on ne relèvera l’ancien édifice, disait-il, et sous presque aucun rapport il ne serait à désirer qu’on le relevât (septembre 1827j. » Il se sépare complètement de M. de Bonald, qui s’était peu à peu rallié à M. de Villèle, et qui continuait à soutenir des doctrines absolutistes. Bonald avait dit dans un écrit récent : « Nul état ne peut subsister avec la liberté de la presse. » Lamennais proteste : « Tout état, dit-il, est aujourd’hui révolutionnaire et antichrétien. Que serait la censure dans de telles mains ? » Au contraire, selon lui, « il y a des vérités à établir et des erreurs qui doivent s’épuiser. La liberté de la presse est nécessaire à ce double but (novembre 1827). » Comme dans le livre Des Progrès de la révolution, il confond le gallicanisme avec le royalisme, et le royalisme avec l’absolutisme : « Cette doctrine dégradante pousse les peuples à la république par une théorie de la royauté qui répugne à la conscience du genre humain (janvier 1828). » Il reconnaît que « le libéralisme a pour lui cette conscience universelle qui est la