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trois provinces baltiques, le catholicisme en Pologne et en Lithuanie, l’islamisme dans plusieurs districts de la Crimée, de l’Oural, du Caucase, sans compter l’Asie centrale. Est-il besoin de montrer ce qu’a d’embarrassant pour un gouvernement cette répartition territoriale des cultes, qui lie chacun d’eux à une province, à une race, souvent à une langue ? L’Irlande et l’Angleterre offrent, à cet égard, un contraste moins marqué que la Russie et plusieurs de ses annexes. Pour le peuple, catholique est toujours synonyme de Polonais, et protestant, d’Allemand. Pour le patriote, les « cultes étrangers » sont encore le véhicule de nationalités étrangères ; il redoute de les voir dénationaliser des provinces que, au nom de l’histoire, il revendique comme foncièrement russes. De même que l’islam, dans les gouvernemens du Volga, est, pour Moscou, un témoin de la domination tatare, le catholicisme, dans la Russie-Blanche et la Lithuanie, le protestantisme, dans les provinces baltiques, sont, à ses yeux, une importation polonaise ou germanique qui lui rappelle les longs abaissemens de la Russie. Ne pouvant les arracher des contrées où elles ont poussé de profondes racines, le gouvernement tient à ne point laisser ces confessions étrangères s’implanter dans le vieux sol russe. Ainsi s’explique sa législation religieuse ; si elle viole la liberté de conscience, la faute en est moins au fanatisme d’une église qu’aux appréhensions patriotiques de la dynastie et de la nation.

La loi a confiné les cultes dissidens dans leurs frontières historiques ; elle les a cantonnés parmi les populations qui les ont reçus de leurs ancêtres. Libre à chacun de demeurer dans la religion de ses pères ; mais défense à chaque confession de chercher à étendre le nombre de ses adeptes. Le prosélytisme est interdit ; c’est un privilège exclusivement réservé à l’église officielle. Il est toujours permis d’y entrer, jamais d’en sortir. Ses portes ne s’ouvrent que du dehors au dedans ; elles se referment sur qui les a une fois franchies.

Un article du code interdit aux orthodoxes de changer de religion ; un autre fixe les pénalités encourues pour ce genre de crime. L’apostasie entraîne la perte des droits civils. Le Russe qui abandonne la foi nationale devient inhabile à posséder ou à hériter. Ses proches peuvent s’emparer de ses biens ou le frustrer de son héritage. Le prosélytisme étant le monopole légal de l’église officielle, il est interdit de s’opposer à l’exercice de son privilège. C’est un délit d’engager à quitter la foi orthodoxe ; c’en est un de détourner de l’embrasser. Un Russe vient-il à déserter l’église nationale, son père, sa mère, sa femme, ses frères, ses parens les plus proches sont tenus de le dénoncer. Et ces lois, il est prescrit aux autorités civiles et militaires de veiller à leur exécution.