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assisté d’un procureur impérial. Les protestans sont de 5 à 6 millions, la plupart luthériens. Plus de 2 millions habitent la Finlande, dont le luthéranisme est l’église d’État. Administrée par trois évêques, desservie par un clergé qui forme un des quatre ordres de la diète, l’église luthérienne jouit, dans le grand-duché, d’une entière liberté. Il n’en est déjà plus de même au sud du golfe.

Dans les trois provinces baltiques, le luthéranisme est encore la religion numériquement et socialement dominante ; mais, de son ancienne suprématie, il a été ravalé au rang de culte simplement toléré. En annexant à l’empire la Livonie et l’Esthonie, Pierre le Grand leur avait garanti, en 1721, le maintien des droits et privilèges de leur église. Catherine II avait fait les mêmes promesses à La Courlande, en 1795 ; et, les trois provinces s’étant toujours montrées de loyales sujettes du tsar, les Russes ne sauraient dire d’elles, comme de la Pologne, que leur rébellion a relevé la Russie de sa parole. La liberté religieuse qui leur avait été jurée, les trois provinces ne l’en ont pas moins vu restreindre.

Le protestantisme a été, chez elles, victime de la politique de russification. C’est là surtout, dans l’ancien domaine des Porte-Glaives, que le luthéranisme devait être considéré comme l’allié du germanisme. La communauté de foi était presque l’unique lien des divers élémens de la population baltique, de la mince couche allemande et des deux nationalités plébéiennes : les Lettes et les Esthes[1]. Détacher ces derniers du culte de la Ritterschaft, c’était isoler la noblesse et la bourgeoisie allemandes, les couper moralement du peuple des campagnes. Les champions de l’orthodoxie se sont portés à la conquête de la Livonie avec d’autant plus d’ardeur que là, comme en Russie-Blanche ou en Lithuanie, ils prétendent opérer sur une terre primitivement orthodoxe, que la Russie a mission de purifier des souillures de la contagion occidentale. Leurs historiens croient avoir démontré que sur ces côtes brumeuses la foi grecque avait précédé la foi latine et à plus forte raison l’hérésie germanique. En quelques contrées, les paysans luthériens, Lettes ou Esthes, fréquentent encore, la nuit de Pâques, l’église orthodoxe. Peu importe qu’en Livonie les missionnaires russes accomplissent moins des conquêtes qu’une restauration. La conscience ne relève pas de l’histoire. Si le droit historique avait quelque autorité en religion, les Russes n’auraient qu’à retourner au culte de Péroun et aux idoles à barbe d’or de la Rous primitive.

La première campagne du prosélytisme officiel contre le luthéranisme remonte au règne de Nicolas. Plus de 100,000 paysans,

  1. Voyez l’Empire des tsars et les Russes (Hachette, 1885), tome Ier, livre II, chapitre V, p. 122-129 de la 2e édition.