Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 92.djvu/309

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Depuis un tiers de siècle, on a, systématiquement, diminué le nombre des diocèses, des séminaires, des églises. Si l’on manque de prêtres, ce n’est pas que les jeunes gens reculent devant une vocation qui peut mener en Sibérie ; c’est que l’accès du sacerdoce a été rendu difficile. Il y a bien des séminaires, il y a même à Pétersbourg, sous le nom d’académie, une sorte de faculté de théologie catholique. À ces établissemens, il y a des boursiers de l’État ; mais le nombre des séminaristes est limité, et n’entre pas au séminaire qui veut. Pour être admis, il faut subir un examen rigoureux ; l’examen passé, il faut encore une autorisation qui n’est pas accordée à tous. Le gouvernement se montre défiant, surtout vis-à-vis des Polonais, qu’il cherche à remplacer par des Samogitiens. De nombreuses paroisses sont sans curé ou ne sont desservies que par un curé missionnaire, qui ne les visite que de loin en loin. En certaines contrées, les catholiques, privés de prêtres, sont réduits, pour ne pas se passer de tout service divin, à chanter entre laïques des hymnes et des cantiques.

J’ai assisté une fois, sous Alexandre II, à un de ces offices sans prêtres. C’était un dimanche de carême, dans la vieille Novgorod, où, comme dans toute la Grande-Russie, il n’y a point de catholiques indigènes. On m’avait indiqué une chapelle catholique romaine, dans un faubourg au-delà du Volkof, derrière le Kremlin. C’était une sorte de grange basse et sombre. Je trouvais là réunies une centaine de personnes, dont à peine trois ou quatre femmes. La plupart des assistans étaient des soldats polonais ou lithuaniens, auxquels se mêlaient quelques Polonais internés dans la ville. L’autel, paré d’une nappe blanche et surmonté de deux cierges allumés, semblait dressé pour la messe. Comme je m’étonnais de ne pas voir paraître le prêtre, on me dit qu’il n’y en aurait point. Il y avait bien à Novgorod un évêque polonais interné, depuis des années, mais il lui était interdit d’officier en public. Les fidèles, presque tous munis de livres, se mirent à chanter la messe, entremêlant des cantiques polonais aux prières latines, se levant et s’agenouillant tour à tour devant l’autel muet. J’appris le soir, chez le gouverneur, que, cette masure menaçant ruine, la triste chapelle allait être fermée. Cette messe sans prêtre, dans une grange sur le point de crouler, était comme un symbole de la situation des catholiques en Russie. Aux fidèles privés de clergé, la joie de se réunir pour chanter des cantiques n’est pas toujours accordée. En certaines provinces de l’Ouest, il leur a été défendu de s’assembler à l’église pour prier en commun. C’est ainsi que, tout récemment, en 1888, le gouverneur de Minsk, un Troubetskoï, enjoignait aux doyens catholiques de tenir fermées les églises des paroisses vacantes, et interdisait d’y célébrer aucun office en l’absence d’un prêtre. Cet arrêté était, il est vrai, motivé