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y avait 2,365 de ces « mariages de Cracovie[1]. » La contrebande religieuse est sévèrement poursuivie à la frontière autrichienne. Il est plus facile à Rome d’envoyer des missionnaires au fond de la Chine que dans la Russie de Chelm. Quelques prêtres y ont pénétré, déguisés en paysans ou en colporteurs, confessant ou mariant dans les bois ou dans une arrière-boutique ; la plupart ont été découverts et expulsés ou emprisonnés. Quant au clergé du pays, il suffit que la police aperçoive un uniate causant avec un ksendz, un prêtre catholique, ou priant dans une église latine pour que le prêtre soit déporté et l’église fermée. La persécution contre les catholiques de rite grec retombe ainsi sur ceux de rite latin. Autrefois, les mariages entre grecs-unis et latins étaient communs ; beaucoup d’uniates fréquentaient l’église latine. Des milliers étaient ainsi passés d’un rite à l’autre Depuis la réunion à l’orthodoxie, les popes se sont mis à la recherche des familles passées au latinisme. À l’aide des registres paroissiaux, ils ont exercé une sorte de répétition des âmes, prétendant que les familles qui avaient quitté le rite grec depuis 1836 devaient être considérées comme orthodoxes. Aux intéressés de prouver qu’aucun de leurs ancêtres n’a été baptisé par immersion.

L’avènement d’Alexandre III avait rendu courage aux uniates. En plusieurs localités, à Biala notamment, beaucoup, pour prêter serment au nouvel empereur, avaient refusé le ministère du pope. L’espoir de ces malheureux a été déçu. Jusque-là, ils s’imaginaient que leurs souffrances étaient ignorées du souverain. M. Pobedonostsef, le tout-puissant ober procouror, les a détrompés. Il a visité la Russie de Chelm, il a étudié sur place les moyens de dompter les opiniâtres. Pour sanctionner l’œuvre de réunion, il a pris soin d’y associer la personne du tsar. En septembre 1888, Alexandre III s’est rendu solennellement à la cathédrale de Chelm. « Votre visite, a dit à l’empereur l’archevêque Léonce, affermira la foi orthodoxe dans le cœur des fils revenus à notre sainte église. Le peuple verra, de ses propres yeux, que cette foi est celle de son souverain et qu’il doit s’y tenir fermement[2]. » Ainsi parle le clergé ; ces apôtres n’ont qu’un argument : convaincre le peuple qu’il a été ramené à la foi du maître et qu’il ne lui sera point permis de s’en écarter.

L’étouffement de l’Union avertit les catholiques du sort réservé aux 3 millions de Ruthènes de l’Autriche-Hongrie, le jour où ils tomberaient sous la domination russe. Cela est fait pour mettre en garde la curie romaine contre l’introduction du rite oriental ou de

  1. Rapport sur l’année 1884.
  2. Discours de l’archevêque de Varsovie et de Chelm.